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Résistance (quand le corps s’en mêle)

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Je vis dans un village de campagne bien tranquille, où chaque année à lieu un festival pour fêter la fin des vendanges « Le pressoir ». Depuis plus de 10 ans c’est le lieu où l’on retrouve pêle-mêle tous les bois sans soif du coin,  les saisonniers espagnols et marocains qui investissent avec leurs camions et leurs chiens le lieu dédié à des  groupes de fanfares punk et autres joyeusetés bruyantes de contre culture. Ce festival est un moment de fête familial, transgénérationnel, préparé des mois à l’avance par une équipe soutenue par la mairie locale, c’est le temps fort et festif de l’année ici.

C’était ce weekend et je m’étais préparée à y participer malgré mon choix de refuser l’injection si subtilement suggérée… J’étais sûre d’y retrouver mes voisin, tous ces gens du coin que j’apprécie pour leurs engagements politiques et écologiques, mais surtout humain. Dès le vendredi soir une amie m’invite à la rejoindre pour y boire un verre après son travail, je dis oui très enthousiaste au début. Puis d’un coup je m’inquiète du paSS sanitaire, je sais qu’il sera demandé, je sais que je n’en ai pas. Je sais que je peux me faire tester à l’entrée et avoir mon passe pour les trois jours que va durer le festival (décidément tout est bien organisé). J’ai été en contact avec les organisateurs, ils m’ont dit qu’ils n’avaient pas le choix, que la mairie leur impose le passe tout comme la loi actuelle (cet évènement rassemble en général plusieurs millier de personnes).  Je sais qu’ils ont débattu entre eux et qu’ils se sont fendus d’un communiqué regrettant bien la situation.

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Mais rien n’y fait l’angoisse monte en moi. C’est un lieu à deux pas de chez moi d’habitude ouvert et accessible où l’on va et vient sur 3 jours. En ce vendredi soir je sens que je vais me mettre à pleurer de rage si je dois me faire violer le nez pour accéder au périmètre duement gardé. Je ne vois pas quel plaisir j’aurai à retrouver mes amis, mes voisin, ces gens que je vois souvent dans la rue, chez eux, dans nos jardins… autour d’une bière au goût amer de cigüe. Mon corps se tend de peur,  de frustration et de doutes. Vont-ils seulement percevoir mon absence si je ne viens pas, l’absence est au final une perte pour l’absent plus que pour le lieu d’attraction. Mais comment se réjouir, s’amuser, oublier tout ce qui nous est rappelé par tant de petits détails: un masque oublié dans un fourré, une tente avec un infirmière qui teste des gens avant de rentrer voir un concert de punk… Après tout l’anarchie aussi à besoin d’ordre et de contrôle !

Mon corps tremble, la tête me tourne, ma nuque se bloque, impossible de ne pas voir les symptômes d’un stress intense. J’ai tellement mal que j’ai envie d’aller me coucher direct de me terrer loin des autres. Une bête aux abois, un animal pris dans les phares au sortir du bois ne réagirait pas autrement.  C’est pas moi, c’est mon corps qui résiste de toutes ses forces, qui ne peux pas faire ce petit pas qui est demandé pour rejoindre le troupeau joyeux et festif. J’en pleure de colère chez moi parce que devant la tente et l’infirmière, j’ai peur que ça fasse scandale, j’ai peur de mes réactions épidermiques et pourtant c’est ce qu’il faudrait montrer au monde. Ce petit pas est déjà trop grand pour moi.

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Je les entends au loin, la fanfare s’approche de mon jardin, je vais me cacher pour la regarder seule, depuis chez moi. Un mur invisible nous sépare, la musique, la culture, les autres, tout ce que j’aime et dont j’ai besoin pour vivre se dérobe, me repousse au loin à l’orée du bois où comme les bêtes sauvages j’observe sans qu’on me voie. La traque ne fait que commencer, et même si aujourd’hui je fais ce pas de côté, j’essaye d’oublier, mon corps sans cesse me rappelle la contrainte qui pèse de plus en plus lourd.  Le fardeau que les autres oublient, ceux qui préfèrent ne pas trop se questionner, ceux qui  doucement dérivent loin de moi tandis que je m’accroche à une idée certes usée et déjà perdue depuis longtemps : la Liberté.

Crédit Photos : Sophie Haribo (merci!)

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Le temps de ne plus aimer

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Il y a cinq ans j’écrivais un article intitulé le temps d’aimer.  L’eau à coulé sous les ponts, l’amour s’en est allé et je me dois d’écrire la fin de l’histoire aussi triste et sordide soit-elle.  J’ai appris beaucoup de ce nouvel amour,  mais je fais surtout le constat  que j’ai un profond besoin d’être seule.

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Je savais qu’aimer expose à la douleur, à la perte, à diverses souffrances, jeux de pouvoirs et d’ego. Aimer expose aussi au bonheur de se croire un temps protégé à l’abri de la misère affective et sexuelle.  Mais l’amour n’est pas ce carcan figé  de la monogamie exclusive à l’usage d’un seul être, l’amour vivant est loin de l’idéal judéo chrétien de la famille nucléaire et du couple avec enfants.  Aujourd’hui pour moi tous ces codes appris sont un asservissement à l’autre et à la société.

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L’amour dépasse de loin ces cases pré-établies. L’amour est une force, une énergie pure qui peut  aussi bien venir nourrir une relation monogame, ou venir porter secours au prochain, il peut être tourné vers les autres ou vers soi et donner ainsi la force et la confiance qui nous permet ensuite de rayonner pour les autres.  En me délestant d’un amour sclérosé, je regagne ce qu’il y a de vivant en moi. L’amour est une relation, une co-construction dans laquelle tout doit être questionné. A vouloir créer l’enveloppe parfaite pour cet amour, LA maison, nous avons perdu de vue ce qu’il y avait de vivant dans notre relation.

Il m’est difficile d’évoquer sans affect cette histoire au passé, mais je sais que la fin de l’amour c’est du temps retrouvé pour moi, de l’énergie à venir pour les autres, et l’idée d’un passage vers l’inconnu, vers la découverte, vers la vie.  Se défaire de ce qui nous pèse, s’alléger de quelque croyances, y perdre des plumes… Me voilà nue a nouveau, libre et sans attache, plus forte et indépendante.

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J’ai appris la grande leçon du lâcher prise, l’idée qu’il faut accepter de perdre ce qui nous semble essentiel, savoir se dépouiller de tout pour retrouver la confiance dans l’avenir.  Tout comme il faut se départir de ses à-priori pour vraiment découvrir l’autre.  Se découvrir soi même nécessite aussi d’abandonner la lutte et d’accepter ce qui vient, ce qui parle à travers nos émotions, ce qui palpite sous notre peau blafarde.

J’ai passé près d’un mois à cligner de l’oeil de manière nerveuse, la paupière tétanisant, signe de fatigue nerveuse, d’épuisement moral, mais aussi  l’idée que mon oeil droit  trahissait quelque part ce dont j’avais le plus besoin : changer de point de vue et de perspective, arrêter de m’aveugler sur la situation, ouvrir enfin les yeux sur ma souffrance.

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Photos prises sur les toits de la base sous marine à Bordeaux, un symbole de résilience.  Comment de  la destruction,  renait la vie, les plantes endémiques avec un petit air de fin du monde…

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Par le vide

Trouver son propre silence, le laisser grandir et mûrir, le laisser pourrir et mourir.  Jouer la transe contre le vent, le souffle court sur la nuque et soudain tout risquer, s’arrêter de respirer.  Les mots m’encombrent comme un mobilier trop nombreux dans lequel je me cogne la nuit, cherchant à tâtons la lumière et aïe…  Me voilà prise au piège de leur signification alors que je désire simplement goûter leur consonance.  Il y a de la musique danaums ma tête, mais elle ne dépassera pas la barrière de mes dents bloquées, crispées, les mâchoires serrées comme un étau à mots.  Il y a des voyelles nasales et des consonnes gutturales, des dentales sourdes et des O jamais assez ouverts… OoooooOm !

En moi c’est le grand silence, le chant hurlant de la fille mutique. Si les mots ne viennent pas, c’est simplement que je ne suis pas là pour les faire vibrer, pour les assourdir et les exprimer.  Si les mots ne viennent pas, c’est qu’il  me faut le temps de revenir à  moi, de me réaligner sur ma lignée, de reprendre la fréquence vibratoire, comme un message subliminal qui s’est transmis de gènes en gêne.  Si les mots ne viennent pas, je peux aller les pécher et jouer à les assembler sans queue ni tête, puisque ce qui doit sortir n’a pas de sens, puisque l’expression en est bruyante, ambarassante, nauséabonde, avant d’être musicale… Je ne pensais pas que l’art était aussi sale, qu’il fallait autant de miasmes pour transcender la vie. Je croyais pouvoir m’y adonner sans me salir les mains, sans suer, sans cracher et me voilà nue, ou presque, le crâne rasé, la peau glabre, les traits tirés.  Façon de parler.

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Je fais le vide autour de moi, je me dépouille de tout ce qui me semblait important, de tout ce qui me rassurait : les objets, les croyances, les habitudes et je me découvre peu à peu.  Je me cherche, je ne me sens pas, pourtant mes mains étaient énormes, palmées et courtes, des mains d’enfant à naître, des mains incapables d’attraper quoique ce soit et pourtant si présentes et vibrantes d’énergie et de force… Souvenir d’une sensation qui m’a assaillie et bouleversé lors d’un Yoga Nidra la semaine dernière.  Je n’y comprends plus rien, je suis perdue et je lâche prise avec bonheur, convaincue que tous les fils que je coupe me rapprochent de moi, de ce qu’il reste au fond,   une fois la vie consumée. Au moment des crises, des grands passages, comme celui du col de l’utérus, face à la mort, nous revenons à nous, notre être irradie et se manifeste.  Je vis actuellement l’une de ces morts symboliques.  J’essaye de ne pas penser à la suite, car si je meurs, c’est pour vivre enfin, si je traverse les voiles, c’est pour me retrouver dans mon unicité et ma singularité. C’est pour irradier et rayonner plus que le pâle écho, la réflexion froide dont je me satisfaisait  jusqu’alors.  Sans douleur, sans peur, je quitte votre monde avec la ferme intention de me retrouver dans le prochain, plus lumineuse.  Les âmes damnées dont je suis ne cessent d’errer en quête d’elles-mêmes.  Il est temps de quitter la peur, de la laisser aux vivants pour rejoindre le royaume des  morts.  Il est temps de chanter l’hymen de vie, de rompre le chant de la mort.

J’ai rarement écrit un texte aussi mystique et il faut croire que je deviens, peu à peu, plus sensible à ces questions essentielles.  Avant, je croyais que réussir sa vie consistait à répondre aux attentes et demandes des autres, j’ai vécu à côté de moi-même dans l’apparence, dans l’image avec l’impression de tout voir défiler par la fenêtre d’un train en marche et de ne jamais vivre.  Aujourd’hui je me jette dans le vide, la fenêtre est haute, le balcon surplombe le parking de la cité, mon corps explosé restera le symbole d’une vie à côté, une tâche indélébile, un bruit sourd qui résonne dans la tête, longtemps après le choc.

Poc, Boum, Vlam, Bang, Snap.

Quel bruit fait la mort quand elle nous prend dans ses bras ? Je ne connais que le bruit assourdissant du souvenir muet, du non dit en écho, le cri du vide à l’intérieur.

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Chaque petit pas compte

L‘une de mes erreurs, je l’admet aujourd’hui, a été de tenter de vivre à distance de moi-même. Cette impression un peu étrange qui peut se résumer par « marcher à côté de ses pompes », c’est ce que j’ai l’impression de vivre depuis des années.

Je m’explique : j’ai basé mon fonctionnement depuis très longtemps (tellement longtemps que je ne me souviens plus depuis quand exactement) sur un jugement intellectuel. Mais le juge en moi a très rapidement pris le pas sur l’autre partie de ma personnalité, celle plus libre qui voulait expérimenter et vivre.   Or le juge a tranché dans le vif, estimant que ces expériences, le plus souvent  néfastes puisqu’elle entraînaient de la souffrance à terme, devaient être abolies. Le juge en moi a flatté mon égo en me disant que j’étais au dessus de ça, en critiquant toute action irréfléchie et en m’enjoignant à la plus grande prudence quant aux conséquences d’actes spontanés.  Par actes spontanés j’entends toutes les manifestations de  joie, d’émotion, de peur, de colère, de faiblesse. Très vite j’ai appris à tout juger et à pré-juger, à évaluer et à ne pas montrer qui je suis, ni ce que je ressent véritablement.  Dans les livres, les films, dans les récits des autres, j’ai trouvé de quoi nourrir mon jugement et à chaque fois, je me félicitais de ne pas tomber dans ce piège de vivre à fleur de peaux, d’exprimer sans réserve mes émotions. Tout en rêvant en secret que de tels moments viennent bouleverser ma vie.

A trop vouloir ressembler aux autres, en jouant au caméléon, j’ai perdu mes couleurs.

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D’abord j’ai appris à juger, puis j’ai appris à écouter.  Ecouter les autres, partager leur point de vue, comprendre leurs émotions, qu’elles soient réelles ou imaginaires.  Apprendre à lire les corps, les visages, les micro expressions, les intonations, pour mieux me perdre en eux, me nourrir en vampire de la vie des autres.  Je me sentais protégée à l’abri du mince écran de fumée, qui faisait croire que j’étais comme eux. Mais ma différence, mon indifférence, m’ont rattrapé.  

De juge des autres il n’y a qu’un pas à se juger soi même.  Je suis devenue exigeante, perfectionniste, avec une volonté d’apprendre sans limite.  J’érigeais ces attitudes en qualités morales, négligeant mon être, méprisant mon corps, ignorant tout ce qui se passait ailleurs que dans le cerveau.  Sous la peau, ça cognait, dans mes entrailles ça grognait et ces expressions grossières de mon corps se sont muées en douleurs chroniques, en peurs paniques. Mais je ne voulais pas entendre mon malaise, et je l’ai trainée de longues années, sans le questionner, juste parce que je voulais à tout prix me croire normale. Et puis tant que ces problèmes étaient vivables, je les évitais soigneusement, peu à peu ils ont rongé ma vitalité, jusqu’à m’enfermer en moi-même.

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 Maintenant que j’ai pris conscience de tout cela, le plus difficile pour moi reste à faire.  Je dois me re-former, m’accepter et m’aimer.  Re-apprendre à vivre, c’est comme apprendre à marcher, il faut y aller pas à pas. Pour l’écriture, c’est pareil, mon grand projet d’écriture de roman ne se fera pas aussi facilement que je l’avais espéré.  Mais pourquoi pas jouer avec des textes courts, proposer à des revues locales une contribution modeste, me familiariser à nouveau avec  mes mots.  J’observe que ça me prend du temps, j’ai longtemps pensé ce petit texte avant de le coucher sur papier.  Maintenant il faut l’envoyer, passer l’épreuve du jugement des autres.  Et tenter d’assourdir dans ma tête, la voix qui toujours me murmure que ce n’est pas assez bien, pas assez original et que je devrai faire mieux. NON je ne dois rien à personne ! Maintenant que je vois mieux les mécanismes à l’oeuvre qui sabotent mon esprit et ma créativité à coup de peurs et de jugements, je peux les regarder en face, les contrer par quelque affirmation positive et percevoir l’irritation que ça provoque chez moi, mais en conscience.  Chaque pas compte, chaque moment de doute est minutieusement observé et puis accepté avant d’être contré en douceur, j’ai appris à mieux me parler, à mieux m’aimer et doucement je m’apprivoise.

Une beauté

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Renoncer à la lutte

Il y a plus d’un mois que je n’ai pas publié et c’est sans aucune culpabilité que je reviens témoigner de ces temps incertains, transitoires, et des avancées en crabe de ma quête personnelle.  Je rappelle que je n’ai rien promis ni à vous ni à moi concernant la fréquence de publication sur ce blog qui se veut avant tout le récit de ma libération.

Ce chemin passe par beaucoup de questionnements et de doutes, par une volonté de compréhension de moi-même qui ne semble jamais assouvie.  J’ai aussi découvert qu’il y avait sous la surface, sous ma peau, dans mon corps de nombreux points de blocage.  Ceux là ne peuvent pas s’émouvoir à la lecture d’un livre, ni même de la compréhension d’un nouveau concept. Me voilà donc partie dans une introspection sensitive à tenter de retrouver ce qui a longtemps été nié.

Retrouver le plaisir simple de se faire porter par l’eau douce et chaude de la mer, le corps ouvert en étoile, les yeux fermés, pendant de longues minutes, parcourir des kilomètres au rythme du roulis des vagues et se retrouver projetée sur le sable chaud. Le corps alourdi soudain par la pesanteur et puis repris par la mer dans un mouvement d’accueil et de rejet sans fin.

Illustrations Pina Baush « café Müller » ainsi que le film « Pina » de Wim Wenders et « rêves dansants » à voir absolument.

cafe-mullerBaudelaire disait qu’il faut « guérir le corps par l’âme et l’âme par le corps », cette dichotomie qui m’a toujours obsédée ne résonne plus pareil à mes oreilles.  L’autre phrase qui m’a accompagnée toutes ces années, c’est la citation de Descartes que se répétait ma prof de philo pendant les longues semaines de coma qu’elle a traversé. Tous les os de son corps avaient été brisés  dans un accident et les médecins refusaient de parier sur sa survie. Elle s’accrochait à cette phrase : « l’âme n’est pas logée dans le corps comme un pilote en son navire ».  J’ai tenté en vain de séparer l’esprit du corps en me méprenant sur le sens de ces phrases. Je voyais deux entités séparées, le corps n’était qu’une machine, certes sophistiquée, mais qu’il fallait contraindre à la puissance de la pensée.  Si j’en suis venue à croire cela, c’est sans doute parce qu’enfant, j’ai tous simplement décidé de délaisser mon corps, de l’affamer, lui intimant l’ordre de se faire tout petit, de prendre le moins de place possible.  J’ai rentré mes épaules vers l’intérieur, courbé la tête, coupé mes cheveux  et vérifié que rien ne dépasse.  Rien de tangible qui pourrait m’apparenter à  ces corps adultes, adipeux et charnus exultants d’humeurs. Je voulais disparaitre, devenir ectoplasme pour n’être plus que des mots.

Le Yoga a été un premier pas vers ma réincorporation. J’aime cette pratique douce de l’attention tournée vers l’intérieur.   Cette manière de bouger, de ressentir les vibrations énergétiques. Au début ce ne sont que des picotements et le bien être ne dure pas.  Mais en regagnant du terrain sur l’ankylosement de mon corps, c’est aussi une nouvelle porte qui s’est ouverte dans mon cerveau. Ce travail ne se fait pas sans résistance et d’ailleurs je trouve curieux de résister autant au changement et à moi même. Cette posture de résistance (en d’autre temps si glorieuse) m’a usée, épuisée et depuis peu j’abandonne la lutte.  Je laisse faire la pesanteur, je me laisse traverser par des émotions longtemps refoulées, j’accepte même ma peur et ma douleur.  Je reviens à ce qui m’est essentiel, mon identité, non pas celle que j’ai construit socialement et dont l’ironie mordante masquait un profond malaise, mais mon identité en tant qu’être.  Je découvre des niveaux de conscience subtils, différents qui me permettent de m’exprimer librement.  Peu à peu je recolle les morceaux entre mon âme et mon corps pour me construire en tant qu’ ÊTRE.

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La fluidité dans l’écriture ne viendra pas d’une contrainte de l’esprit, mais bien d’une disposition du corps à laisser libre cours à la pensée, à ne pas l’entraver de ses douleurs et au contraire à la nourrir de ses émotions et sensations. L’intensité de certains moments que je vis est indescriptible. Comme la première fois que je me suis retrouvée sous une pluie drue avec mes cheveux courts, j’avais 15 ans, l’eau ruisselait sur mon crâne et je n’avais jamais ressenti cela avant (bien protégée par une tignasse longue) j’ai découvert ces petites chatouilles des gouttes d’eaux qui s’écoulent le long de mon occiput. Comme une soupe de nouilles froide qui vous tomberait sur la tête. J’ai ressenti ça un soir, après avoir passé une journée étonnante d’expression et de partage… Une journée où j’avais repoussé mes peurs et connu des sensations nouvelles. Je riais, seule, sous la pluie et me suis alors sentie libre d’exister pour moi, pour ces sensations si précieuses que j’avais recueillies. En libérant mon corps, mon esprit s’aiguise et c’est une foule de souvenirs enfouis, doux amers,  qui me remontent dans la gorge, ils se libèrent dans un sanglot, un frisson où un sourire.

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En mille morceaux

Parfois quelque chose se brise en nous. C’est peut-être qu’on fend l’armure, que la mue s’amorce, mais la première impression c’est la douleur.  Et puis cette sensation d’incomplétude, de déséquilibre, de vide.  Il faut se rassembler, compter les pièces restantes pour former un tout à nouveau.  Se retrouver malgré les fissures, les crevasses, les fêlures.

brisée

Mon coeur ressemble à cette assiette retrouvée éclatée au four. Son contenu répandu un peu partout.  J’ai entendu le clac et je n’ai rien pu faire.  Oubliez la superglue car les petits éclats perdus en font à jamais une assiette fêlée, un objet inutile. Un rebut de plus.  Comment ne pas évoquer Charles Baudelaire et sa Cloche Fêlée.

Il est amer et doux, pendant les nuits d’hiver,
D’écouter, près du feu qui palpite et qui fume,
Les souvenirs lointains lentement s’élever
Au bruit des carillons qui chantent dans la brume,

Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux
Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,
Jette fidèlement son cri religieux,
Ainsi qu’un vieux soldat qui veille sous la tente !

Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu’en ses ennuis
Elle veut de ses chants peupler l’air froid des nuits,
Il arrive souvent que sa voix affaiblie

Semble le râle épais d’un blessé qu’on oublie
Au bord d’un lac de sang, sous un grand tas de morts,
Et qui meurt, sans bouger, dans d’immenses efforts

Si j’ai choisi Baudelaire, j’aurai tout aussi bien pu évoquer James Frey et  A Million Little Pieces.  Une lecture encore en cours (depuis des mois) tant la violence de ce livre m’a bouleversée.  Obligée de le refermer parfois pour reprendre mon souffle, pour m’échapper de l’enfer de la désintox que décrit James Frey.  Je trouve ridicule la polémique sur la vérité (ou non) des faits décrits dans ce livre.  Peu m’importe que James Frey ait réellement vécu ce qu’il décrit, je ne doute pas  à le lire de sa sincérité en tant qu’auteur et de sa roublardise. Mais ne sommes nous pas tous contraints à de tels mensonges ?  On se les raconte d’abord pour nous même et puis on ment aux autres  et puis on les écrit et la force du réçit donne une qualité autre que le réalisme pur.  C’est la puissance d’évocation des mots, des images, des idées qui fait la qualité d’un auteur.  Pas le fait qu’il ait vécu ce qu’il raconte, sinon on reste dans une culture du témoignage, du simple voyeurisme jamais transcendé par l’art.

Je reviendrai sans doute explorer  le sujet du rapport entre vérité et invention dans l’écriture. Car cette question me préoccupe au quotidien et je n’ai pas encore trouvé de réponse à cette épineuse question.  J’ai l’impression que de la matière réelle peut émerger la fiction, mais cette fiction ne peut que trahir la réalité. Reste alors à être sincère avec soi-même dans sa trahison.

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De la douleur

J‘ai eu beau m’en protéger, toujours suivre les consignes de sécurité, respecter les règles édictées et celles plus tacites, je ressens en moi une douleur sourde, profonde, ancienne.  Elle est tapie tout au fond de mon ventre, et parfois elle se réveille, me contractant de l’intérieur.  Si j’ai soigneusement évité toute prise de risques  et tout danger, c’est pour ne jamais souffrir.  Et me voilà parfois pliée en deux, au bord de l’évanouissement appréhendant le prochain spasme dans mes entrailles.  Parfois elle remonte le long de ma colonne vertébrale et vient se loger dans ma nuque.  Brisant de fait un peu plus les relations entre ma tête et le reste de mon corps.  Parfois elle reste dans le plexus solaire et ma respiration oppressée me retourne les côtes vers l’intérieur comme des piques à l’assaut des poumons et du coeur.

Cette souffrance, je me l’inflige en croyant me protéger des dangers du monde extérieur.  En évitant de vivre certaines expériences, de me confronter à la réalité et au regards des autres, en fuyant toute situation inconfortable, je retourne contre moi le mal. Aujourd’hui il faut que j’apprenne à lutter, mais c’est contre moi même que je dois me battre.  Je suis restée si longtemps paralysée par la peur, avec dans l’idée que « ça va passer ».  Et puis ça ne passe pas, voir même ça sent-pire ! J’utilise ce mot valise à dessein, car mon corps a trouvé un moyen subtil, volatil de s’exprimer malgré moi.  Je transpire d’un malaise malodorant, en gros je pue l’angoisse. Expressions, sécrétions, exécration de mon corps exhultant et de ses fluides qui par tous les pores envoyent ce message simple : j’ai peur.Les-mots-pour-le-dire

La trouille grandit loin de la lumière et des mots, dans les recoins sombres dans l’ombre de l’inconscient.  Plus elle est tue et plus elle me tue.  Plus je l’évite et plus elle est invalidante, plus elle se reproduit dans des situations de plus en plus gênantes.  C’est comme un cri du corps qui  refuse de rester muet, emmuré.  C’est un mal insidieux qui peu à peu m’a conduit à réduire les situations sociales stressantes, à abandonner la lutte pour privilégier la fuite et le non-dit.  Oser en parler ici me paralyse, je m’en veut d’étaler mes vicères sous vos yeux, mais c’est je crois le chemin pour pouvoir ensuite parler d’autre chose.  Autant commencer par quelque trivialité.

A relire Sur le même sujet, j’ai été très touchée il y a des années à la lecture du livre de Marie Cardinale « les mots pour le dire ». Enfin quelque chose d’aussi intime et trivial que le sang des règles était au centre d’un roman. C’est sa lutte constante contre son corps et sa découverte du lien entre ses souffrances actuelles et son passé qui m’ont le plus bouleversée.

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Raisonner & résonner

Raisonner, c’est se trouver tout un tas d’excuses pour tout.  C’est se regarder, se juger, évaluer les situations selon des critères extérieurs, sociaux, moraux. C’est accepter la contrainte de la logique, c’est penser au paraitre avant l’être.  La raison, c’est mon surmoi qui me parle, qui m’observe et qui me juge. Raisonner ou ratiociner, compter, calculer, tout ce qui procède de la raison nous précède, nous sommes emmurés dans le cogito de Descartes.

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Kiki de Montparnasse en Violon d’Ingres

Résonner, c’est entrer en vibration.  Cette onde sonore, colorée ou émotionnelle se transmet et fait de nous  le réceptacle et l’instrument. Nous sommes la corde sensible qui frémis sous l’archet et dont les vibration nous ressortent par les ouïes.  On devient un Stradivarius, vibrant de l’émotion que l’on reçoit.  Résonner est un mot qui me touche en ce moment, mais j’ai du mal à en parler et à trouver les termes qui conviennent.

Entrer en résonnance, c’est faire correspondre sa propre voix à une autre, c’est l’idée d’un dialogue, d’une harmonie fugace et délicate. C’est cette expérience de l’altérité parfois dissonante et assourdissante qui m’angoisse. L’accord parfait n’existe pas, il faudra donc composer avec les couacs et apprendre à jouer juste peu à peu.

  L’harmonie c’est du travail au quotidien.

 

Aside

Help

Ani Castillo

Ani Castillo

Help, I need somebody
Help, not just anybody
Help, you know I need someone
Help!

When I was younger, so much younger than today
I never needed anybody’s help in any way
But now these days are gone I’m not so self-assured
Now I find I’ve changed my life and opened up the doors

Songwriters LENNON, JOHN / MCCARTNEY, PAUL

Published by Lyrics © Sony/ATV Music Publishing LLC