Je vis dans un village de campagne bien tranquille, où chaque année à lieu un festival pour fêter la fin des vendanges « Le pressoir ». Depuis plus de 10 ans c’est le lieu où l’on retrouve pêle-mêle tous les bois sans soif du coin, les saisonniers espagnols et marocains qui investissent avec leurs camions et leurs chiens le lieu dédié à des groupes de fanfares punk et autres joyeusetés bruyantes de contre culture. Ce festival est un moment de fête familial, transgénérationnel, préparé des mois à l’avance par une équipe soutenue par la mairie locale, c’est le temps fort et festif de l’année ici.
C’était ce weekend et je m’étais préparée à y participer malgré mon choix de refuser l’injection si subtilement suggérée… J’étais sûre d’y retrouver mes voisin, tous ces gens du coin que j’apprécie pour leurs engagements politiques et écologiques, mais surtout humain. Dès le vendredi soir une amie m’invite à la rejoindre pour y boire un verre après son travail, je dis oui très enthousiaste au début. Puis d’un coup je m’inquiète du paSS sanitaire, je sais qu’il sera demandé, je sais que je n’en ai pas. Je sais que je peux me faire tester à l’entrée et avoir mon passe pour les trois jours que va durer le festival (décidément tout est bien organisé). J’ai été en contact avec les organisateurs, ils m’ont dit qu’ils n’avaient pas le choix, que la mairie leur impose le passe tout comme la loi actuelle (cet évènement rassemble en général plusieurs millier de personnes). Je sais qu’ils ont débattu entre eux et qu’ils se sont fendus d’un communiqué regrettant bien la situation.
Mais rien n’y fait l’angoisse monte en moi. C’est un lieu à deux pas de chez moi d’habitude ouvert et accessible où l’on va et vient sur 3 jours. En ce vendredi soir je sens que je vais me mettre à pleurer de rage si je dois me faire violer le nez pour accéder au périmètre duement gardé. Je ne vois pas quel plaisir j’aurai à retrouver mes amis, mes voisin, ces gens que je vois souvent dans la rue, chez eux, dans nos jardins… autour d’une bière au goût amer de cigüe. Mon corps se tend de peur, de frustration et de doutes. Vont-ils seulement percevoir mon absence si je ne viens pas, l’absence est au final une perte pour l’absent plus que pour le lieu d’attraction. Mais comment se réjouir, s’amuser, oublier tout ce qui nous est rappelé par tant de petits détails: un masque oublié dans un fourré, une tente avec un infirmière qui teste des gens avant de rentrer voir un concert de punk… Après tout l’anarchie aussi à besoin d’ordre et de contrôle !
Mon corps tremble, la tête me tourne, ma nuque se bloque, impossible de ne pas voir les symptômes d’un stress intense. J’ai tellement mal que j’ai envie d’aller me coucher direct de me terrer loin des autres. Une bête aux abois, un animal pris dans les phares au sortir du bois ne réagirait pas autrement. C’est pas moi, c’est mon corps qui résiste de toutes ses forces, qui ne peux pas faire ce petit pas qui est demandé pour rejoindre le troupeau joyeux et festif. J’en pleure de colère chez moi parce que devant la tente et l’infirmière, j’ai peur que ça fasse scandale, j’ai peur de mes réactions épidermiques et pourtant c’est ce qu’il faudrait montrer au monde. Ce petit pas est déjà trop grand pour moi.
Je les entends au loin, la fanfare s’approche de mon jardin, je vais me cacher pour la regarder seule, depuis chez moi. Un mur invisible nous sépare, la musique, la culture, les autres, tout ce que j’aime et dont j’ai besoin pour vivre se dérobe, me repousse au loin à l’orée du bois où comme les bêtes sauvages j’observe sans qu’on me voie. La traque ne fait que commencer, et même si aujourd’hui je fais ce pas de côté, j’essaye d’oublier, mon corps sans cesse me rappelle la contrainte qui pèse de plus en plus lourd. Le fardeau que les autres oublient, ceux qui préfèrent ne pas trop se questionner, ceux qui doucement dérivent loin de moi tandis que je m’accroche à une idée certes usée et déjà perdue depuis longtemps : la Liberté.
Crédit Photos : Sophie Haribo (merci!)