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Dans le vif du sujet

Il y a des mois que je me prépare à renouer avec l’écriture et cette idée me réjouit à peu près autant qu’elle me terrifie. J’ai du me faire aider par un coach (et un ami), Denis Tison. Après les premiers blocages levés, je me suis dit, ça va rouler, je vais enfin revenir à l’écriture aussi naturellement que ça l’a toujours été pour moi.  En réalité, les années à juger le travail des autres et à engranger du savoir théorique sur la dramaturgie m’ont fait perdre ce lien simple et intime à moi-même et à l’évocation des sentiments et des émotions. J’ai perdu en lyrisme ce que j’ai gagné en structure. Je cherche à construire, à édifier, à verrouiller tout ce que je peux par des lectures, du savoir, une confirmation que je fais bien ce qu’on attend de moi. Là encore j’obéis aux règles ! La transgression restant pour moi un très long chemin à parcourir, vers un peu plus de liberté. Quelque part je ne me fais pas confiance, je ne me laisse pas la liberté nécessaire  pour créer. J’ai peur de ce qui pourrait en sortir, peur de ne pas avoir assez de matière et d’énergie brute au fond de moi pour écrire cette histoire.  Ce roman sur l’histoire de mon arrière grand-mère, qui me tient tant à coeur et qui m’apporte depuis des mois beaucoup de force, d’envie et d’énergie, vais-je réussir le mener à bien ? En réalité, je devrait plutôt travailler sur le mener à mal, le malmener *, car je sens que c’est en sortant des attendus (ceux des autres, et les miens) que j’arriverai à lui donner son sens. Le travail d’écriture n’est pas à un paradoxe près et c’est ce qui me plait tant dans ce labyrinthe de Pan*.

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Le sens de cette histoire que je croyais porter au fond de moi, qui me semblait clair, une évidence absolue.  Ce sens m’a échappé toute la semaine.

*** Première semaine ***

J’ai prévu cet été un mois d’écriture sur ce projet. J’ai travaillé toute la semaine sous la contrainte, dans la souffrance et le doute.  J’ai construit avec patience et méthode.  J’ai déconstruit ce qui n’était pas en place.  Mais cet exercice s’est fait dans la lutte, j’ai beaucoup dormi, j’ai beaucoup lu, j’ai beaucoup fuit.  Face à mon tableau en liège et à mes petites cartes, j’ai peiné à mettre en place les moments clé de l’histoire, certains ont naturellement trouvé le place, surtout au début, mais la fin de l’histoire, elle m’échappe toujours.  Curieusement, la fin je la connais, c’est la fin réelle de la vie d’Alice, elle s’est fait tuer.  Mais pourquoi ? Donner un sens à cette mort par la fiction est presque impossible.  Cette mort n’a aucun sens ! La réalité sur laquelle je me base est aberrante.  Comment donc la réorganiser, s’en libérer pour que la fin brutale de la vie d’Alice prenne enfin du sens ? Et quel sens ?  Je marche sur des oeufs, je ne veux pas me tromper, et j’avoue n’avoir pas encore trouvé.  C’est une fin fermée et une fin ouverte en même temps, pour l’instant c’est très flou.

La méthode du tableau et des cartes proposés par Blake Snyder dans son livre « Save the cat », m’a vraiment séduit dans la mesure où le travail semble être pré-mâché. Mais cette méthode exige une rigueur et une clarté de vue qui me font encore défaut sur ce projet.   J’avais établi un planning de travail pour la semaine et ce planning a quelque peu dérapé. Un après-midi passé à la plage m’a rappelé la nécessité de prendre de la distance, de la détente comme moyen de résoudre les problèmes. J’ai aussi compris qu’il me fallait limiter mes exigences, accepter que je n’écrirais pas un chef d’oeuvre du premier coup et en un mois (même un mois de travail acharné).  Néanmoins,  j’ai commencé à construire, les trois quarts de l’histoire, ce tableau me servira de guide dans l’étape suivante. Même si j’ai bien conscience de son incomplétude, libre à moi de le reprendre régulièrement au cours du travail.  Je sens confusément, que passer à la phase d’écriture proprement dite s’impose. Est-on jamais assez prêt pour cela ?

DSC03005J’ai l’impression de réapprendre à faire du vélo (Dieu sait -et mes parents aussi- à quel point cet apprentissage a été douloureux pour moi). En effet la théorie ne suffit pas à trouver l’équilibre.  Il ne suffit pas de penser sans fin : pied droit, pied gauche, pied droit, pied gauche, de tenir le guidon en regardant où on va. Moi j’ai lutté longtemps, incapable de gérer tous ces paramètres en même temps, parce que pour que ça roule, il faut surtout ne pas y penser, trouver la sensation d’équilibre et faire confiance aux automatismes du corps. Me voilà donc à nouveau sur mon vélo à 5 ans sur le parking désert d’un hypermarché Mammouth près de Nancy, je dois oublier les échecs passés, la peur de tomber, de ma faire mal, je dois y arriver, car mes parents me regardent hilares face à mon aptitude à foncer droit dans les chariots isolés qui parsèment le parking (à l’époque, les chariots n’étaient pas payant et pas aussi bien rangés). Je tente de me concentrer autant que je peux, pour ne pas me planter à nouveau, je souffle lentement, papa me pousse et puis c’est à moi « pied droit, pied gauche, ne pas y penser… hop »

  • Je lis d’ailleurs en ce moment un livre théorique salutaire (très ironique et anglo-saxon) How not to write a novel  de Howard Mittlemark & Sandra Newman
  • Les philosophes stoïciens identifiaient ce dieu avec l’Univers ou du moins avec la nature intelligente, féconde et créatrice.
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Livre mon ami

C‘est sans doute au contact des livres que j’ai ressenti le plus de connexion émotionnelle et sentimentale.  Le livre, quand il nous parle et trouve un écho en nous est comme une petite voix intime et douce.  C’est une reconnaissance, comme un autre nous même, qui saurait trouver les mots. Les livres nous parlent parfois et  à d’autre moments ils se taisent, ils font silence. J’ai souvent été frustrée de ne pas lire le livre parfait. Une histoire sur mesure pour me transporter, me faire rêver, c’est de ce manque qu’est venue tout d’abord mon envie d’écrire.  Je voulais écrire pour moi le livre que je ne trouvais pas.

Après avoir fait de la lecture mon métier, j’ai perdu ce lien privilégié avec les livres.  Je ne lisais plus par plaisir, mais par obligation, j’analysais tout. C’est devenu une activité à plein temps.  Depuis peu je retrouve ce contact privilégié avec les livres.  Je lis à nouveau pour le plaisir et j’ai trouvé dans certain des derniers livres que j’ai lu un écho à ma propre recherche et à mes questionnement d’auteur en devenir.

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Tout a commencé avec le livre de Jonathan Coe « La pluie avant qu’elle tombe ». Lecture commencée il y a des années, puis abandonnée et reprise cet hiver. Cette histoire dramatique qui se déroule sur 3 générations de femmes et déploie sous nos yeux la puissance de la tragédie, m’a énormément parlé.  C’est à la suite de cette lecture que j’ai décidé d’écrire sur mon arrière grand-mère.  Ce livre parle d’une transmission ratée, d’un abandon d’enfant et des séquelles laissés par une mère égoïste (elle même en souffrance vis à vis de sa famille) sur une enfant qui porte les stigmates de son hérédité.

UnknownJe savais qu’ensuite il me fallait lire le très beau livre de Delphine de Vigean « Rien ne s’oppose à la nuit ».  Ce livre a été un gros succès de librairie il y a quelques années et j’avais toujours été intriguée par la photo de couverture, cette femme mystérieuse et belle en noir et blanc qui fume le regard au loin, un demi sourire flottant sur ses lèvres.  Je savais que l’auteur racontait l’histoire tragique de sa mère, mais je ne savais pas qu’une grande partie du roman était un exercice de réflexion et d’auto-analyse sur la façon dont elle a écrit cette histoire.  Cet exercice d’auto-fiction, m’a presque plus passionnée que la vie de sa mère. J’y trouvais un questionnement sur la démarche et la méthode qui fait écho au mien.  La force des deux niveaux de récit  combinés, et surtout l’écriture tenue,  toujours simple et juste de Delphine de Vigean m’ont touchée.  En lisant la fin du livre, j’ai pleuré, j’étais dans un train et l’émotion m’a submergée.  Pourtant je savais ce qui se passait à la fin, cette fin n’a rien d’inattendu. C’est le choix des mots, la force du point de vue et la justesse de ces lignes qui m’a bouleversée.

Enfin, j’ai repris la lecture du journal de Virginia Woolf, espérant que ce gros pavé m’accompagne un moment dans mon processus d’écriture.  Virginia Woolf est l’un de mes auteurs préféré, le personnage, le style, l’époque… Son journal commence en Janvier 1915, il a presque 100 ans.  Pourtant sa parole est d’une grande modernité, d’une liberté infinie et je découvre avec autant d’intérêt que de joie son quotidien de femme écrivain.  J’espère pouvoir reproduire parfois ici quelques trouvailles où citations issues de cette lecture.

J’ai  écrit toute la matinée avec un plaisir infini, ce qui est curieux, car je n’oublie jamais qu’il n’y a aucune raison pour que je sois contente de ce que j’écris, et que dans six semaines, ou six jours, je le trouverai détestable.

La phrase du jour est daté du Mercredi 6 Janvier 1915 et révèle les affres des jugements que l’on porte sur soi même et sur son travail, ainsi que les doutes et les brusques changement d’humeurs, propres à la personnalité de Virginia Woolf (elle fera mi Février une nouvelle incursion dans la folie et s’en suivra une longue dépression).

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Mauvais goût

La question du goût -et notamment du bon goût- se retrouve dans tous les domaines que je touche du doigt ou du bout de la langue.  Or j’ai vécu la semaine dernière une expérience inédite qui m’a quelque peu fait réfléchir.  J’ai été invitée à une dégustation de vins, par un journaliste émérite de Terre de Vins qui me fait régulièrement rêver et voyager virtuellement des papilles grâce aux réseaux sociaux.  J’avoue être amatrice de vins, surtout depuis mon retour à Bordeaux où j’ai très vite compris que si je voulais  nouer des relations il allait me falloir jouer du tire bouchon et du couteau à huîtres.  Bref je n’y connait rien, mais j’aime bien !

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Me voici donc embarquée sur une péniche à quai, judicieusement nommée « la balle au bond », comme cette invitation que j’ai acceptée sans trop savoir dans quelle galère je m’engageais.  Arrivée à bord, on m’a donné mon paquetage : un  verre Riedel et  un dossier de presse conséquent sur la vingtaine de vins présentés.  Après un bref discours, je retrouve mon initiateur  qui m’indique la marche à suivre. D’abord regarder, puis sentir et enfin goûter, mais attention il faut cracher.  Le crachoir est un ustensile assez barbare que  je trouve peu féminin, je ne sais pas pourquoi,  donc je rechigne un peu au début à l’utiliser.  Mais devant l’ampleur de la tâche et après un petit rappel sur l’importance de la rétro-olfaction, je finis par glavioter après chaque gorgée.

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Puis vient la première question : « tu en penses quoi ? »  Cette question qu’on entend après les films au cinéma, au cours d’un repas, après l’amour parfois… C’est une question qui fait basculer dans le jugement, finis le ressenti, la sensation doit trouver son exutoire en mots choisis. Dès qu’il faut donner son avis, on  dévoile à la fois ses goûts, mais aussi sa culture, ses connaissances et lacunes. Donner son avis dit tout de nous. J’en sais quelque chose, c’est mon métier. Je répond ce qui me passe par la tête, en essayant de ne pas trop me mouiller, mais c’est jamais facile sur un bateau.  J’ai l’impression de décevoir, qu’on lit en moi mon manque de connaissance, mon inculture et mon goût parfois douteux.  Ma réponse n’est sans doute pas aussi élégante, ni élaborée que je l’aimerai.  Mais il faut bien en passer par là, la culture, le goût, ne viennent qu’en pratiquant, en je jetant à l’eau,  en élaborant des jugements que l’on révise ensuite, une fois qu’on a appris. Le mauvais goût c’est sans conteste l’école de l’humilité, car nos croyances sont sans cesse questionnées par le bon goût des autres.

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J’ai ensuite retrouvé un ami de longue date, qui revenait d’un voyage initiatique au Pérou.  Cette quête chamanique à base d’Ayahuasca et d’autres plantes locales réputées pour leurs vertus thérapeutiques et hallucinogènes, ont amené mon ami aux confins du confort physique.  De ce qu’il m’en a raconté, c’est après avoir vomi la décoction de plantes ingurgitées que cette dernière fait effet.  Le temps d’attente, de malaise et de profonde détresse corporelle avant d’atteindre ces  moments de plénitude, de  compréhension et de contact avec la plante, sont perçus par certains comme un mal nécessaire.  Comme si il fallait se purger de certaines énergies négatives avant d’atteindre l’illumination.

DSC02591J’ai pris récemment conscience à la lumière de ces expériences que toute forme « d’expression » est bonne à prendre.  Les mots ne sont que l’expression de notre cerveau, mais le corps s’exprime avec plus de force et souvent par des moyens considérées moins élégants.  Au delà du bon goût, il a nos  affects, notre histoire qui fait que l’on préfère la douceur à l’acidité, que l’on est plus sensible aux tanins, au poivré, qu’une odeur nous évoque un souvenir et d’autres nous échappent, car elles n’ont pas été fixées avec la même force émotionnelle dans notre mémoire.

Les mots sont souvent un palliatif, un moyen de tourner autour du pot, par périphrases, on évite ainsi la gène de s’exposer directement à la critique et au jugement.  J’ai  depuis peu des flashs où je me met à crier, sans raison apparente, si ce n’est exprimer ce qui est resté trop longtemps contenu. Ce cri primal, que je m’autorise à peine à évoquer, retentit dans mes rêves, dans mes méditations au yoga, sans que je comprenne pourquoi.  Je crois que j’ai quelque chose à dire et un furieux besoin de me faire entendre.

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En mille morceaux

Parfois quelque chose se brise en nous. C’est peut-être qu’on fend l’armure, que la mue s’amorce, mais la première impression c’est la douleur.  Et puis cette sensation d’incomplétude, de déséquilibre, de vide.  Il faut se rassembler, compter les pièces restantes pour former un tout à nouveau.  Se retrouver malgré les fissures, les crevasses, les fêlures.

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Mon coeur ressemble à cette assiette retrouvée éclatée au four. Son contenu répandu un peu partout.  J’ai entendu le clac et je n’ai rien pu faire.  Oubliez la superglue car les petits éclats perdus en font à jamais une assiette fêlée, un objet inutile. Un rebut de plus.  Comment ne pas évoquer Charles Baudelaire et sa Cloche Fêlée.

Il est amer et doux, pendant les nuits d’hiver,
D’écouter, près du feu qui palpite et qui fume,
Les souvenirs lointains lentement s’élever
Au bruit des carillons qui chantent dans la brume,

Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux
Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,
Jette fidèlement son cri religieux,
Ainsi qu’un vieux soldat qui veille sous la tente !

Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu’en ses ennuis
Elle veut de ses chants peupler l’air froid des nuits,
Il arrive souvent que sa voix affaiblie

Semble le râle épais d’un blessé qu’on oublie
Au bord d’un lac de sang, sous un grand tas de morts,
Et qui meurt, sans bouger, dans d’immenses efforts

Si j’ai choisi Baudelaire, j’aurai tout aussi bien pu évoquer James Frey et  A Million Little Pieces.  Une lecture encore en cours (depuis des mois) tant la violence de ce livre m’a bouleversée.  Obligée de le refermer parfois pour reprendre mon souffle, pour m’échapper de l’enfer de la désintox que décrit James Frey.  Je trouve ridicule la polémique sur la vérité (ou non) des faits décrits dans ce livre.  Peu m’importe que James Frey ait réellement vécu ce qu’il décrit, je ne doute pas  à le lire de sa sincérité en tant qu’auteur et de sa roublardise. Mais ne sommes nous pas tous contraints à de tels mensonges ?  On se les raconte d’abord pour nous même et puis on ment aux autres  et puis on les écrit et la force du réçit donne une qualité autre que le réalisme pur.  C’est la puissance d’évocation des mots, des images, des idées qui fait la qualité d’un auteur.  Pas le fait qu’il ait vécu ce qu’il raconte, sinon on reste dans une culture du témoignage, du simple voyeurisme jamais transcendé par l’art.

Je reviendrai sans doute explorer  le sujet du rapport entre vérité et invention dans l’écriture. Car cette question me préoccupe au quotidien et je n’ai pas encore trouvé de réponse à cette épineuse question.  J’ai l’impression que de la matière réelle peut émerger la fiction, mais cette fiction ne peut que trahir la réalité. Reste alors à être sincère avec soi-même dans sa trahison.

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Changer d’air

Le processus d’écriture est complexe et chacun l’apprivoise à sa façon.  J’aime être chez moi, travailler dans mon cocon, mais parfois un changement de décor, de rythme, d’environnement est propice au travail et à la réflexion.   Quand mon amie S. m’a proposé d’aller m’installer dans sa maison de vacances en Bretagne, je me suis dit que ce serait l’occasion de travailler au calme.

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Le départ ne s’est pas fait sans peine, j’ai eu du mal à quitter mon chez moi, mes chats et ma poule… J’avais peur de  l’inconnu, peur de m’ennuyer, de me sentir seule, peur de ne pas être assez forte pour assumer  mon envie d’écrire et mon besoin de calme.

Quitter mon quotidien, me retrouver face à moi même et surtout face à la mer (en l’occurence l’Océan) m’a semblé pendant un moment une épreuve insurmontable.  Mais j’avais tout organisé pour partir sereine et maintenant que j’étais au pied du mur, il fallait que j’assume cette envie d’ailleurs.

Je me suis  installée sur la presqu’île de Rhuys pour 10 jours avec la volonté de travailler tous les jours, mais aussi de profiter de la nature, de l’océan, du soleil, bref d’ouvrir une porte sur un nouvel univers.   Le cadre était idéal, le calme parfait, j’ai tenu le planning de travail que je m’étais imposée (4 heures d’écriture par jour).  Le reste du temps, j’ai fais de longue ballades à pied qui m’ont permis de réfléchir avec mes membres antérieurs et de laisser ma tête ouverte aux vents d’ouest, mes yeux jamais lassés du spectacle changeant offert par la côte du Morbihan.DSC02170

J’ai écrit, exilée volontaire, j’ai trimé sans difficultés, mais sans parvenir à trouver non plus cette sensation de fluidité, quand le travail nous absorbe tout entier et qu’on en oublie le temps.  J’ai lutté contre moi même, contre mon envie de faire autre chose, de m’échapper de cette contrainte si particulière qui consiste à réfléchir au quotidien à ce que l’on veut dire et à comment le dire.

J’ai utilisé les outils développés cette années pour l’atelier d’écriture. J’ai même envisagé d’en créer de nouveaux au fur et à mesure de l’avancée de mon projet de roman, qui seront à leur tour partagés avec d’autres auteurs en devenir.

Se libérer de ses chaînes n’est pas si facile.  Se libérer de ses propres pensées limitantes « Je ne suis pas un auteur », « Qui va me lire et me comprendre »,  « Si je n’étais pas aussi douée que je le souhaite ». Se libérer aussi des attentes des autres, de leur jugement.  Se sentir libre et retrouver des mots anciens, des vers oubliés… Ceux de ce sonnet de Pierre Marbeuf.

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Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage,
Et la mer est amère, et l’amour est amer,
L’on s’abîme en l’amour aussi bien qu’en la mer,
Car la mer et l’amour ne sont point sans orage.

 

Celui qui craint les eaux qu’il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu’on souffre pour aimer,
Qu’il ne se laisse pas à l’amour enflammer,
Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.

 

La mère de l’amour eut la mer pour berceau,
Le feu sort de l’amour, sa mère sort de l’eau,
Mais l’eau contre ce feu ne peut fournir des armes.

 

Si l’eau pouvait éteindre un brasier amoureux,
Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,
Que j’eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.

Se dire que finalement on échoue jamais  vraiment, on est parfois simplement en cale sèche, en train d’attendre la Grande Marée à écouter du Miossec pour ne pas oublier que toutes ces larmes versées ne le seront pas en vain.

DSC02182En route Matelots !

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Se découvrir Frères

Parfois nos proches sont tout simplement les gens avec lesquels on arrive le moins à parler…  J’ai souvent cette impression avec ma famille et depuis toujours je ressens beaucoup d’incompréhension envers mon frère.  Cet être étrange dont j’ai partagé les jeux, l’éducation, sans doute une partie des gènes, mais au final, j’ai toujours ressenti l’altérité.  Mon frère est l’Autre, celui que je ne comprend pas. J’ai mis du temps à réviser ce jugement sans doute hâtif, emporté comme une colère d’enfance.  Le mot frère, m’a toujours été étranger, j’avais l’impression de ne pas ressentir ce qu’il faudrait envers lui. D’avoir, à la place de l’élan du coeur, une simple incompréhension muée en indifférence.

Aujourd’hui après des années d’indifférence, et des kilomètres de distance, je suis revenue  vivre dans la même ville que lui, avec dans l’idée de tenter de reconnecter où du moins d’apprendre à le connaitre mieux.  Or mon frère semble comme moi souffrir de cette capacité de déconnection et de mise à distance envers les évènements  et les gens.  Je sais qu’il a longtemps souffert de mon indifférence à son égard.  Et je sens, sans un mot, à quel point il tient à moi malgré tout.   Comme moi il semble s’être blindé derrière une solide carapace qu’il n’est pas aisé de briser. On aura beau nous faire craquer au casse noix, mon frère et moi resterons des crustacés de premier choix.  On préfèrerait bouillir dans notre coquille plutôt que d’accepter de montrer nos chairs à vif à quiconque.

Par moment (mais rarement) il y a comme une faille, il accepte de me dire qui il est avec sincérité. Je découvre alors notre incroyable proximité.  Incroyable surtout pour moi qui ait toujours pensé que nous étions différents au dehors comme au dedans.  Ces moments de fulgurante révélation me bouleversent à chaque fois, je voudrais qu’il y en ait plus et en même temps la violence émotionnelle qu’ils libèrent en moi serait difficilement supportable au quotidien.  Alors on revient à nos petits mensonges, on dit que « ça va » quand ça ne vas pas, parce qu’on n’a pas vraiment appris à se parler autrement et encore moins à se faire confiance, suffisamment pour partager ce que l’on ressent.

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Je voudrais pouvoir lui dire que son amour tant rejeté me manque. Que tous les crustacés doivent muer et qu’on est pas obligés de porter ces carapaces pour nous protéger de l’autre.  Qu’il peut se confier, enlever son  armure, arrêter de jouer les durs.  Que je veux changer et  rajouter le mot Frère à mon vocabulaire, pour que lui puisse aussi avoir enfin une Soeur. Je sais que ce ne sont que des mots.  Les actes seuls comptent et nos retrouvailles prendront le temps qu’il faut. Le temps de se pardonner, de se retrouver, de se reconnaitre, toute une vie peut-être ?

 

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De la douleur

J‘ai eu beau m’en protéger, toujours suivre les consignes de sécurité, respecter les règles édictées et celles plus tacites, je ressens en moi une douleur sourde, profonde, ancienne.  Elle est tapie tout au fond de mon ventre, et parfois elle se réveille, me contractant de l’intérieur.  Si j’ai soigneusement évité toute prise de risques  et tout danger, c’est pour ne jamais souffrir.  Et me voilà parfois pliée en deux, au bord de l’évanouissement appréhendant le prochain spasme dans mes entrailles.  Parfois elle remonte le long de ma colonne vertébrale et vient se loger dans ma nuque.  Brisant de fait un peu plus les relations entre ma tête et le reste de mon corps.  Parfois elle reste dans le plexus solaire et ma respiration oppressée me retourne les côtes vers l’intérieur comme des piques à l’assaut des poumons et du coeur.

Cette souffrance, je me l’inflige en croyant me protéger des dangers du monde extérieur.  En évitant de vivre certaines expériences, de me confronter à la réalité et au regards des autres, en fuyant toute situation inconfortable, je retourne contre moi le mal. Aujourd’hui il faut que j’apprenne à lutter, mais c’est contre moi même que je dois me battre.  Je suis restée si longtemps paralysée par la peur, avec dans l’idée que « ça va passer ».  Et puis ça ne passe pas, voir même ça sent-pire ! J’utilise ce mot valise à dessein, car mon corps a trouvé un moyen subtil, volatil de s’exprimer malgré moi.  Je transpire d’un malaise malodorant, en gros je pue l’angoisse. Expressions, sécrétions, exécration de mon corps exhultant et de ses fluides qui par tous les pores envoyent ce message simple : j’ai peur.Les-mots-pour-le-dire

La trouille grandit loin de la lumière et des mots, dans les recoins sombres dans l’ombre de l’inconscient.  Plus elle est tue et plus elle me tue.  Plus je l’évite et plus elle est invalidante, plus elle se reproduit dans des situations de plus en plus gênantes.  C’est comme un cri du corps qui  refuse de rester muet, emmuré.  C’est un mal insidieux qui peu à peu m’a conduit à réduire les situations sociales stressantes, à abandonner la lutte pour privilégier la fuite et le non-dit.  Oser en parler ici me paralyse, je m’en veut d’étaler mes vicères sous vos yeux, mais c’est je crois le chemin pour pouvoir ensuite parler d’autre chose.  Autant commencer par quelque trivialité.

A relire Sur le même sujet, j’ai été très touchée il y a des années à la lecture du livre de Marie Cardinale « les mots pour le dire ». Enfin quelque chose d’aussi intime et trivial que le sang des règles était au centre d’un roman. C’est sa lutte constante contre son corps et sa découverte du lien entre ses souffrances actuelles et son passé qui m’ont le plus bouleversée.

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Raisonner & résonner

Raisonner, c’est se trouver tout un tas d’excuses pour tout.  C’est se regarder, se juger, évaluer les situations selon des critères extérieurs, sociaux, moraux. C’est accepter la contrainte de la logique, c’est penser au paraitre avant l’être.  La raison, c’est mon surmoi qui me parle, qui m’observe et qui me juge. Raisonner ou ratiociner, compter, calculer, tout ce qui procède de la raison nous précède, nous sommes emmurés dans le cogito de Descartes.

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Kiki de Montparnasse en Violon d’Ingres

Résonner, c’est entrer en vibration.  Cette onde sonore, colorée ou émotionnelle se transmet et fait de nous  le réceptacle et l’instrument. Nous sommes la corde sensible qui frémis sous l’archet et dont les vibration nous ressortent par les ouïes.  On devient un Stradivarius, vibrant de l’émotion que l’on reçoit.  Résonner est un mot qui me touche en ce moment, mais j’ai du mal à en parler et à trouver les termes qui conviennent.

Entrer en résonnance, c’est faire correspondre sa propre voix à une autre, c’est l’idée d’un dialogue, d’une harmonie fugace et délicate. C’est cette expérience de l’altérité parfois dissonante et assourdissante qui m’angoisse. L’accord parfait n’existe pas, il faudra donc composer avec les couacs et apprendre à jouer juste peu à peu.

  L’harmonie c’est du travail au quotidien.

 

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L’illusion germano-pratine

Samedi dernier je me suis rendue dans une grande zone industrielle comme il en existe en périphérie de toutes les villes et j’ai passé les portes d’un de ces supermarchés de la culture, du loisir créatif et de l’art récréatif.  Là en plein milieu il y avait deux petites tables à quelques mètres de distance l’une de l’autre et échoués chacun sur leur ilot sous des grandes bannières au nom de l’enseigne culturelle, il y avait deux écrivains, une femme et un homme. Tous deux avec une pile de leurs livres respectifs à côté d’eux et personne ne s’arrêtait pour leur parler.  C’était des écrivains au travail, dans ce moment qui suit la création d’une oeuvre où l’on croit que le plus dur est passé et pourtant… Il reste la promo !

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La promo d’un livre peut prendre plusieurs formes. Si l’auteur est très connu ou alors dans l’air du temps, il passera au Grand journal, à la Grande Libraire ou sur un plateau d’émission de divertissement ou au 13 h de France 2.  Peut-être qu’on en parlera sur France Culture ou sur France Inter, peut-être même aura-t-il la chance de se faire critiquer par le Masque et la Plume et puis il y a les journaux, les articles, des citations, les bonne feuilles, les extraits, les blogs. Mais la rencontre d’un auteur avec son public, entendre directement les mots de ces derniers, voir leurs yeux briller à l’évocation de tel livre, de tel passage. Signer  avec son plus beau stylo, écrire quelques mots, sur la page blanche au début de son propre livre édité, enfin.  Ca doit être et de loin le plus grand bonheur d’un écrivain qui a travaillé dans l’ombre et dans la solitude des années durant.  Or ce summum de la vie d’écrivain, m’est apparu dans toute son angoissante vacuité.

Les+tribulations+d'une+caissiere

Les auteurs attendaient, chacun à sa petite table que les clients pressés de consommer de la culture daignent s’intéresser à eux.  Où mieux qu’une personne entre et vienne directement à leur petite table les tirer de leur solitaire traversée du samedi après-midi de dédicace.  Or l’attente peut-être longue et il faut bien s’occuper.  La femme d’une cinquantaine d’années, l’air d’une prof d’anglais un peu hirsute semblait absordée dans la lecture d’un livre à la couverture sombre, un polar, peut-être même le sien ? L’homme d’un certain âge également vérifiait avec attention l’alignement des piles de livres en attente d’être dédicacés.  J’imagine qu’une fois le fonctionnement du stylo vérifié, la fermeture de sa braguette,  les liens de ses souliers, le col de sa chemise, ses boutons de manchette et la mèche  bien plaquée, il ne lui restait plus grand chose à faire. Quand je suis repassée il semblait somnoler  ou bien contemplait il le plafond ? Basculé en arrière sur sa chaise.

J’avoue n’avoir pas trouvé le courage d’aller leur parler, de les tirer de leur ennuyeuse torpeur.  Je l’avoue, j’avais peur.  Peur qu’ils me vendent leur livre que je me sente obligée de repartir avec ce pavés d’au moins 600 pages, fruit de leur dur labeur d’auteur. Et qu’avais-je moi à leur dire ?  « Bonjour je ne vous connais pas, mais vous semblez être un auteur en vrai et en perdition.  Je peux vous aider, m’intéresser ? » Non  j’ai fais comme les autres clients, traversé le magasin, j’ai fais mes menus achats et sur le chemin de retour, j’ai remarqué une autre table un peu plus excentrée, moins visible depuis l’entrée, une table avec un autre auteur présent pour dédicacer son oeuvre. Et là surprise il y avait devant lui une petite file de personnes qui se formait. Des lecteurs avides, trépignants, serrant leur exemplaire fébrilement avant de pouvoir le rencontrer et lui glisser quelques mots.  Auteur populaire, mais néanmoins décalé, j’étais au rayon BD !

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Article

Lâcher prise et « what if » fiction

Dans notre société de compétition et d’apparence, le lâcher prise et l’acceptation sont des notions dépréciatives. Seuls les faibles abandonnent sans se battre. Nous voulons toujours gagner de haute lutte et principalement contre nous même. C’est la violence, la contrainte et la tyrannie qui font loi.  J’ai pourtant découvert avec le yoga la puissance du lâcher prise et la force extraordinaire qui se développe dans l’abandon. Quand au lieu de se contraindre on se laisse aller en douceur aux règles de l’attraction terrestre par exemple.  Certaines postures vont beaucoup plus loin quand on les travaille dans le relâchement. On sent alors à quel point nos tensions, nos exigences et notre maintien pèsent sur notre corps.

928La puissance du lâcher prise reste ignorée dans notre culture occidentale, la nature doit être contrainte, rééduquée car elle est fondamentalement mauvaise.  Nous vivons encore dans des croyances anciennes issues des heures sombres du catholicisme que nous soyons croyants ou pas, ces idées nous baignent.

Et si…

Lâcher prise, c’est aussi accepter qu’il n’y a que l’instant présent qui compte. Le contrôle que j’exerce sans fin n’est pas un contrôle du présent qui par définition me file dans les mains.  C’est un contrôle du futur.

Yogi_chakrasana

Si je parle aujourd’hui de lâcher prise, c’est que j’en connait un rayon sur l’auto-contrôle et l’auto-surveillance. Depuis peu, j’ai découvert que travailler mon lâcher prise consiste principalement à éviter de me raconter des histoires, à ne plus inventer les  situations possibles à l’infini si je fais celà ou ceci.  Il est très difficile pour moi de ne pas imaginer l’univers des possibles, d’arrêter de me raconter des histoires sur ce qui pourrait ou devrait se passer.  Le but est d’arrêter de se projeter dans le futur pour vivre au présent.

Pour lâcher prise, il faut être bienveillant envers soi-même,  l’occasion de se rendre compte que la plupart des éléments fonctionnent en homéostasie, et que tenter de tout contrôler est épuisant. Aussi rassurant qu’angoissant ! Ce contrôle, loin de nous protéger comme on aime à le croire, nous oblige à lutter sans cesse contre nous même à nous épuiser, il nous fait perdre de vue notre nature profonde.  Je ne sais pas ni la nature de l’homme est bonne ou mauvaise, loin de moi l’idée d’en juger, mais je sais que vivre en accord avec soi même est infiniment plus léger.

Lâcher prise pour moi c’est raconter toutes les histoires sur papier pour éviter que leur présence opressante ne parasite mon quotidien, comme ça a été le cas pendant longtemps.

Un exercice quotidien

Le lâcher prise ne se décide pas en un jour, il se travaille au quotidien, comme une gymnastique de la pensée, pour lutter contre l’hypercontrôle, rien de tel qu’une vigilance bienveillante, une observation sans jugement, la posture du yogi envers lui même quand il pratique ses exercices.

En pratique

Je commence par m’observer et relever les moments où je cherche à me contrôler ou à contrôler les autres,  je note les scénarios futurs que j’associe à ces actions.  La plupart de ces scénarios, ne se réalisent jamais, mais au cas où j’y ai pensé. Ainsi je conjure mes peurs, en les étalant un peu partout, et puis comme je n’ai jamais essayé de lâcher prise, comment savoir vraiment ce qui va arriver ? Cette surprise, cet inconnu, c’est ce qui m’effraye le plus.  J’essaye aussi de me libérer de la croyance : si je lâche prise à un moment, je vais rapidement perdre pied et ne plus rien contrôler.  Ma capacité de contrôle et d’intervention sur  ma vie n’est pas abrogée, je décide juste de ne pas intervenir et de voir ce qui arrive de temps en temps.

Comme l’exercice n’est pas évident pour les Control Freaks dans mon genre, il est recommandé de commencer à lâcher prise sur des petites choses,  pour ensuite essayer de faire le même travail avec un peu plus d’enjeu.