Aujourd’hui, je me suis retrouvée chez l’osthéopathe avec le dos bloqué. Plus aucune mobilité dans la nuque, le haut du dos dur comme un bloc de pierre, la respiration courte et quand l’osthéo m’a touchée le bassin pour tester ma mobilité elle m’a dit : « c’est simple, rien ne bouge ! » Si je viens ici faire état de mes problèmes physiques, c’est que chez moi le non dit tente toujours de trouver sa voix par le corps. Du coup deux heures de manipulation pour retrouver un minimum de mobilité et une conversation très intéressante sur les fascias* (un terme anatomique que je ne connaissais pas). Mais surtout, la fascination d’entendre quelqu’un que je n’avais jamais vu avant et qui ne me connaissait pas me dire des phrases comme « vous semblez porter un poids, un fardeau qui ne vous appartient pas », ou encore parlant de mon oppression thoracique « vous avez le coeur lourd » et ce n’était pas métaphorique. Enfin j’ai été invitée à exprimer ma colère et à en apprécier la décharge d’énergie.
* Un fascia est une membrane fibro-élastique qui recouvre ou enveloppe une structure anatomique. Il est composé d’un tissu conjonctif dense non orienté, très riche en fibres de collagène et d’un epimysium (tissu conjonctif lâche). Les fascias sont reliés entre eux et forment un réseau complexe reliant le sommet du crâne au bout des orteils, de la superficie à la profondeur.
Ils sont connus pour être des structures passives de transmission des contraintes générées par l’activité musculaire ou des forces extérieurs au corps. Cependant, des recherches récentes montrent qu’ils sont également capables de se contracter et d’avoir une influence sur la dynamique musculaire.
La colère, c’est chez moi l’émotion interdite. La colère c’est cette matière sombre que je préfère toujours ravaler, de peur de blesser les autres. Mais elle m’encombre la gorge depuis dans d’années. La colère, c’est la possibilité de blesser, de rester incomprise, c’est aussi une énergie dont je me suis coupée volontairement. Ma colère m’effraye. J’ai surtout peur de perdre mon image positive auprès des autres. Là encore, montrer de la colère serait pour moi perdre la face, détruire cette image patiemment construite, cette illusion que tout va bien. La colère, c’est ce qui sommeille en sous terrain, c’est ce qui me fait serrer les dents pendant mon sommeil et peut-être cette colère que je porte et que je crains d’exprimer n’est-elle pas non plus la mienne ?
Le plus fort de ma colère consciente est actuellement tournée contre mes parents, mais comment faire le moindre reproche à ces gens qui cherchent autant que possible à être des parents parfaits? Il y arrivent en partie et c’est ce qui musèle ma colère… Ainsi récemment je me suis surprise à fondre en larmes en écoutant (et en chantant à tue-tête) cette chanson de Patrick Bruel « Qui a le droit« . Et ce regard un peu perdu de Patrick tandis qu’il chante ces mots qui me touchent au coeur. A chaque fois que j’entends cette chanson, un frisson me parcoure, de ceux qui révèlent les grandes vérités dans les paroles des chansons populaires.
« A toi aussi, j’ suis sur qu’on t’en a dit,
De belles histoires, tu parles… que des conneries !
Alors maintenant, on s’ retrouve sur la route,
Avec nos peurs, nos angoisses et nos doutes.Qui a le droit, qui a le droit
Qui a le droit d’ faire ça
A des enfants qui croient vraiment
C’ que disent les grands ? «
L’air de rien, Patrick, il sait de quoi il parle. Et je le rejoins sur ce point, il faut arrêter de mentir aux enfants ! Mentir en leur racontant n’importe quoi ou mentir par omission (pour les protéger) cela revient au même. Il faut raconter leur histoire aux enfants, leur dire d’où ils viennent et comment ils ont été conçus. Il faut leur dire le bonheur, mais aussi la souffrance et les doutes, il ne sert à rien de cacher le passé, de l’oublier ou de le taire parce qu’il est douloureux et qu’il pose problème. Il faut tout dire, même le pire, même l’indiscible, il faut trouver les mots. Sous peine d’engendrer plus de douleur encore. Ces choses que l’on tait, ces secrets que l’on cache, c’est ce qui nous rend humain, c’est notre identité, tout autant que ce visage avenant que l’on aime à montrer.
Depuis que j’ose dire ma douleur et mes doutes, j’ai obtenu des autres plus de marques de sympathie et d’empathie que jamais. Si j’apprends à dire ma colère rentrée, peut-être pourrais-je vivre en paix et enfin me sentir libre ?
Cette semaine c’était mon anniversaire et tout ce que je voudrais comme cadeau, c’est pouvoir entendre mon histoire, pas seulement ce qu’il reste de bon souvenirs, mais aussi ceux plus sombres qui affleurent souvent dans l’air un peu triste de mon visage. Car malgré tous les efforts de mes parents, je n’ai pas été une enfant heureuse et aujourd’hui je suis en colère contre leur croyance qu’ils pouvaient l’un et l’autre s’affranchir de leur propre histoire, pour en construire une nouvelle à partir de rien, sur la base de leur amour. L’amour et les bons sentiments ne suffisent pas, on a tous besoin de connaitre la vérité de notre histoire. Qui a le droit de juger ce qu’il est bon ou pas de dire aux enfants ? Patrick l’a bien compris, priver les enfants de la vérité c’est une facilité qui évite la douleur aux adultes mais pour en faire payer le prix aux enfants.
Un jour où l’autre, les sans histoires doivent retrouver la mémoire.
Car cette mémoire non conscientisée est partout dans notre être, dans nos cellules, dans notre corps, notre morphologie en témoigne. Je sais qu’on va me dire fille ingrate, indigne, d’étaler ainsi ma peine et mes petits tracas bourgeois. Mais comme dans le corps des petits mouvements doux exercés sur les fascias permettent de remettre en place beaucoup d’éléments qui sont tous interconnectés. Je veux croire que mon mouvement de libération, si il fait quelques vagues autour de moi, si ma douleur trouve un écho dans la douleur muette de mes proches, c’est que ce lien avec eux qui m’a tant manqué existe bien, mais sous la surface, dans la profondeur de nos peaux. L’osthéo a comparé le fonctionnement des fascias avec celui d’une couverture qui entourerait le corps, alors moi je tire un coin de la couverture, avec l’envie de voir ce qui se cache en dessous, sous la surface de la peau, dans ce moi viscéral. Ma colère est là, dans les mots qui vont un jour sortir de moi, elle prend forme peu à peu.