Ces demeures familières

Je suis sensible aux espaces à la lumière, aux couleurs, à l’ambiance des lieux.  J’aime les vieilles pierres et ces maisons à courant d’air qui sentent le feu mort et le bois ciré. Ces lieux évoquent des souvenirs parfois précis, parfois plus vagues, d’anciennes mémoires que je ne trouve pas dans l’habitat froid et sans âme d’après guerre.

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A partir de ce canapé jaune découvert dans une expo photo et puis retrouvé en vrai quelques temps plus tard dans une ancienne demeure, j’ai voyagé ailleurs, plus loin dans mes souvenirs.  J’ai été jusqu’en Normandie dans cette grande demeure d’Angerval, où autrefois j’ai eu la chance de partager les repas et les fêtes d’une famille qui n’était pas la mienne.  Je me souviens des repas préparés pour une grande tablée toujours bruyante qu’elle parle français ou anglais, du feux dans la cheminée et de la meringue d’une Pavlova qui cuisait dans le four.  Je me souviens de ces longs couloirs distribuant des chambres ayant toutes une histoire et des boiseries de la bibliothèque refaites à neuf à la suite d’un incendie.  Je revois la carcasse du piano, blanc squelette de Pleyel sous la neige, devenue oeuvre d’art au jardin en mémoire de cet évènement tragique.  J’ai encore le goût des petites huîtres avalées par douzaines au lendemain du mariage de L.  Je me souviens des derniers mots prononcés par le patriarche de cette famille (aujourd’hui décédé) à mon attention.  Il m’a fallu du temps pour me détacher de ce lieu et de sa charge émotionnelle.  J’y suis retournée à l’occasion d’une séance d’hypnose et j’ai voulu revoir la sculpture de Roseline Granet qui orne l’entrée de la demeure.  Ce couple en apesanteur, dans l’énergie d’un mouvement perpétuellement figé m’a toujours touchée et l’expressivité de ces sculptures, ainsi que le fait qu’elles soient réalisées par une femme artiste n’a cessé de me hanter.

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Atelier de Roselyne Granet, moulages préparatoires en plâtre.

Les fantômes qui nous accompagnent tous, les liens qui nous unissent aux autres pour un temps, se défont et puis laissent des traces en nous, comme un sillon, une nouvelle ride au coin de l’oeil, la marque d’avoir trop pleuré ou rit. Je redécouvre mon passé à la lumière d’un éclairage nouveau.  C’est comme si j’étais enfin sortie d’un tunnel long et obscur. Comme si je m’étais éveillée d’un  sommeil peuplé de rêve récurrent, celui de l’impossible ascension d’une paroi toujours plus friable.  J’ouvre les yeux, je les frotte et j’essaye de comprendre comment je me suis moi même ensorcelée et à quel fuseau je me suis piquée pour avoir dormi si longtemps.

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 La couleur revient dans ma vie, peu à peu. Je passe du sépia au bleu, du gris au jaune… L’animal reprend ses droits.  Il y a des flamants, des tigres ou plutôt des chats. Je ne me lasse pas de redécouvrir le monde avec un regard plus aiguisé, moins anesthésié. Je dois me retrousser les manches, car le chemin est encore long du simple réveil de ma conscience au retour de ma capacité de créer. J’ai longtemps blâmé les autres pour m’avoir coupé les ailes, mais je sais aujourd’hui que j’ai été la première à m’arracher les plumes pour maîtriser ma peur de voler.

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  1. « J’ai longtemps blâmé les autres pour m’avoir coupé les ailes, mais je sais aujourd’hui que j’ai été la première à m’arracher les plumes pour maîtriser ma peur de voler. »

    Comme je comprends…

    Marion

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