Quand la folie devient la norme, splendeur et misère du monde d’après.

J’ai vécu ses deux dernières années comme tout le monde à tenter de raccrocher les wagons, toujours un temps de retard, sidérée par la brutalité de l’anormalité érigée en nouveau monde. J’ai tenté de penser rationnellement ce qui n’avait aucun fondement rationnel, tenté de comprendre, de rester mesurée, de ne pas sombrer dans la folie ambiante. J’ai surtout eu besoin de rester à distance et pour ça la névrite m’a été salutaire. Aujourd’hui alors que pour beaucoup de personnes tout reprend sa place et que le cours de la vie de chacun se poursuit, j’ai une pensée pour ceux qui n’ont pas la chance de pouvoir vivre dans cette nouvelle normalité.

Ceux qu’on a brutalement éjecté de leur travail un 15 Septembre fatidique sans que leur sort n’ait fait l’objet d’aucun débat, ni d’aucune controverse. Ceux qui ont choisi de s’abstraire du jeu social, d’abandonner leur statut, leur confort matériel et leur idéal même parfois pour rester droit, pour se regarder dans la glace sans honte ni compromission. Ruinés, avilis, traités d’irresponsables et des mois plus tard toujours abandonnés à distance d’une société qui préfère se passer de leur voix discordantes.

« Le cri » d’Edouard Munch

Il y a cette infirmière que j’ai rencontrée, elle travaillait dans un service d’oncologie, auprès d’enfants atteint de cancer. Elle sa limite a été dépassée quand elle a vu des parents ne plus avoir le droit d’accompagner leur enfant pour les examens, les opérations, les soins de suite, des parents interdit de tenir la main de leur enfant atteint de cancer, elle m’a dit « j’ai pas supporté de voir ça, je suis partie, je ne pouvais pas cautionner ça ». Elle avait souvent les larmes aux yeux quand elle parlait de son travail, c’était cet hiver, elle n’avait pas encore intégré l’idée que peut-être elle n’y retournerai pas.

Il y a ce jeune pompier qui a vu certains de ses collègues tomber, il a vu ceux qui ne peuvent plus faire de sport ou s’entraîner, à bout de souffle, le coeur malmené, bref il a préféré abandonner cet uniforme qui était sa fierté, qui lui donnait un charme et surtout un but dans la vie : être au service des autres ! Aujourd’hui il contemple les flammes, partout la forêt part en fumée et les copains au souffle court qui sont sur place, ils auraient sans doute besoin de lui, mais plus personne ne l’appelle pour les interventions. Il a fait le choix de prendre le large, de se couper de sa vie sociale, de ses amis, des sorties, des cafés, à 20 ans c’est pourtant tellement important, mais il préfère la distance. Courir dans les bois, tenter d’oublier que sont rêve lui échappe, c’est ça aussi grandir.

Il y a cette psychologue scolaire, qui peinait déjà à couvrir le secteur immense qu’on lui avait attribué, qui trouvait que les moyens n’étaient pas à la hauteur des discours dans le domaine de la santé des jeunes, qui a vu les ados s’éteindre, d’étioler, se défenestrer, puis pour ceux qui restent se ranger sans broncher derrière leur masque pour cacher leur souffrance et leurs boutons. Avec ces masques, c’est comme si on avait muselé les gosses, elle le sent, elle voudrait leur dire de l’ouvrir, qu’il faut se battre et que la lutte et la confrontation parfois sont légitimes quand les lois sont injustes. Mais ce qu’elle a fait c’est partir, disparaitre, éteindre sa pauvre voix dissidente, pour laisser le champ libre. Personne ne l’a remplacée, ils n’en trouvent plus des psy. Alors les élèves sont restés seuls avec leur malaise, parfois elle s’en veut de les avoir abandonnés, parfois elle préfère ne pas être là pour les inciter à rejoindre le bus de vaccination garé devant la porte du lycée.

Ces gens ne sont pas qu’une poignée, ils sont des milliers, ils ont fait un choix difficile et ils sont aujourd’hui en suspend, quelquepart dans les limbes du non droit du travail. Qui pour se rappeler qu’ils vivent de rien depuis de longs mois ? Qui pour les aider à dépasser le sentiment de rejet, d’humiliation et de perte. Partout Ils manquent à la société. Leur présence manque, leur professionnalisme manque, leur voix manquent dans l’espace pour qu’on puisse enfin respirer un peu d’air frais.

Il y a un film, sur le sujet des soignants suspendus, il est en visionnage gratuit, et pour ma part j’ai fais un don, car depuis le 15 Septembre dernier, un cri immense pousse en moi, un cri de rage et d’injustice, un cri silencieux et sourd qui dit : « personne d’autre ne voit cette folie ?! »

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  1. Merci pour ce joli texte qui fait a la fois sourire, quelqu’un s’exprime et a la fois créé une déchirure ou ravive la blessure… Je suis dans le cas des ces soignants mais pourtant je fais ou faisais parti de l’administratif de l’entreprise qui m’a suspendue… Mal, amer, blessé, j’ai perdu contact avec mes collègues avec qui un noyau dur était une bulle d’oxygène quotidienne, je n’ose pas les contacter, ils n’osent pas non plus, le lien a été gardé avec une poignée à la base suspendus puis contraints financièrement de franchir le pas…. Il s’essouffle un peu également, la vie continue, on en oublierait presque ces 15000 personnes absentes….
    J’ai demandé à mon employeur une rupture amiable de mon contrat de travail mais il ne le veut pas, en attendant je survis comme je peux car j’ai la chance de savoir toucher à tout mais petit à petit je perds le bénéfice d’une hypothétique assurance chômage…. Alors que depuis ma majorité je n’ai jamais « pointé au chômage »…. Bref merci a vous et courage a toutes et tous.

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    • Courage à vous pour ce combat contre l’oubli et n’hésitez pas à le diffuser autour de vous, à garder le dialogue ouvert sans honte ni faux semblants.

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