En chacun de nous se dispute l’ombre et la lumière. Si la lumière est facile à définir et à qualifier, visible, rayonnante, solaire. La part d’ombre est plus complexe, par définition elle est cachée, elle nous échappe elle se déguise. L’ombre, l’inconscient, les peurs, les traumas, les blessures enfouies, ce que nous cachons aux autres et à nous même, l’ombre ne cesse de grandir en cette période trouble. Au solstice d’hiver, lors des jours les plus courts, nous sommes à l’apogée de l’ombre avec pour perspective le retour lent mais certain de la lumière dans nos vies.
C’est le moment pour moi de faire le point sur la façon dont j’ai vécu cette année (en espérant que l’état de mon être reflète aussi celui de notre société tout entière). Nous ne vivons pas en dehors du monde et par conséquent, ce qui nous affecte, ce que nous vivons à l’intérieur est bien souvent le reflet ou un écho de ce qui se passe à l’extérieur et inversement.
J’ai vécu cette année dans un monde qui a basculé, j’ai vécu un choc avec un avant et un après. Avant le choc, j’étais dans l’insouciance, dans l’idée que tout est stable et immuable, que je peux croire ce que mes yeux voient, ce que mes oreilles entendent, ce mes sens me renvoient, croire à une « réalité ». J’étais dans l’illusion, mais je ne le savais pas. J’étais dans le confort de l’ignorance, dans la croyance que j’avais prise sur le monde et que j’étais responsable de ce qui advient dans ma vie. J’étais dans l’illusion de la maîtrise et de la liberté.
Le choc à pris la forme d’une infection du nerf vestibulaire, puis il s’est répété à l’automne par une fracture du poignet, le choc c’est tout ce qui m’a conduit à la dépendance, à une situation de devoir lâcher, de ne plus rien pouvoir maîtriser. Simplement vivre en me laissant porter par le courant, en acceptant les contraintes physiques, je ne peux plus être celle que j’étais avant. Le choc a produit la destruction du sur-moi, de cette carapace de protection devenue étriquée, enfermante et pleine de jugements moraux, d’inquiétude de plaire, de sociabilité feinte.
Etrangement alors que j’avais l’impression d’être l’ombre de moi même, de ne pas pouvoir donner mon plein potentiel, alors que j’étais défaillante, j’ai reçu en retour des messages très positifs. J’ai commencé à me dire que toutes ces règles et ces protocoles que je m’imposais depuis des années, si je m’en libérais, loin de m’écrouler ou de partir en miettes, je pouvais peut-être trouver de la consistance. Il est difficile de comprendre qu’on puisse être plus puissant quand on est en état de faiblesse, d’ouverture, de vulnérabilité. Mais c’est ce que j’ai vécu, l’idée que notre potentiel se révèle quand on arrête d’essayer de prouver quelque chose, ou même de bien faire. C’est une leçon d’humilité. Quelqu’un m’a dit un jour « tu ne choisis pas ce que tu transmets » et j’en suis convaincue. J’ai laissé faire, lâché prise et j’ai reçu en retour des témoignages touchants d’affection, de reconnaissance, de soutien aussi de ceux qui ont déjà traversé ces régions arides, ces vallées de la mort, lors d’une maladie, d’un burn out, d’une dépression.
J’ai senti qu’en me dépouillant ainsi, en m’abîmant presque sous l’effet du crash, affleurait en moi des perceptions nouvelles. Une sorte de révolution copernicienne, un voile que l’on déchire, j’ai soudain pris conscience de la part d’ombre qui m’habitait, et j’ai essayé de l’observer sans la juger et sans me laisser envahir par la peur ambiante. Nous avons tous en ce moment à affronter nos peurs, à confronter nos croyances à un réel toujours plus illusoire et mouvant. J’ai aussi compris que la réalité (que je croyais être tangible et stable) pouvait se révéler mouvante. La réalité nous est propre et dépend de nos perceptions, nous sommes tous amenés à vivre dans notre bulle de filtres qui sélectionne, trie les informations, nous présente une image parfois aussi éloignée du réel que peuvent l’être un rêve, un film ou une carte postale. Certes il nous est impossible de nous extraire de nous même pour voir le monde autrement, par contre nous pouvons changer, et faire évoluer notre perception du monde en travaillant notre point de vue, nos croyances, nos zones d’ombre. J’ai physiquement éprouvé à quel point le réel était fabriqué par nos sens et donc potentiellement trompé par ces derniers. J’ai vécu une expérience qu’on pourrait qualifier de métaphysique.
Au coeur de la crise, j’ai interpellé une hypothétique entité supérieure en lui demandant pourquoi elle ne me laissait pas tranquille et ce qu’elle voulait de moi, quand après avoir tout vomi, il ne me restait que de la bile à cracher. Quand mon corps me soutenais à peine et que le moindre mouvement venait me faire tanguer, expulser le peu de thé que j’avais pu avaler. Personne alors ne m’a répondu, j’ai été façe au silence, dans l’incompréhension la plus totale de ce qui était en train de m’arriver. Je me sentais un jouet dans les mains d’un enfant capricieux, le destin m’envoyait des épreuves, mais plus rien ne faisait sens, j’étais dans une grande lessiveuse cosmique. Il n’était pas temps de comprendre, il était temps de se dépouiller, de se mettre à nu, on ne renaît pas sans passer par des étapes de mort symbolique. Parfois cette mort est réelle, mais ce n’est qu’une étape de plus, un passage qu’il faut vivre pour changer d’état, pour changer d’être. Je n’avais pas peur et en cela j’étais déjà très heureuse de pouvoir vivre et ressentir toute cette intensité. La douleur qui m’avait tellement inquiétée jusque là s’est révélée aussi une construction de l’esprit, un signal dont on peut éteindre le volume pour continuer à fonctionner le temps qu’il faut pour survivre. Mon corps s’est dérobé, et c’est par lui que je vais me reconstruire.
Car dans cette traversée des vallées obscures qui forment ma psychée, j’ai trouvé un allié précieux dans mon corps, la lumière ne s’est jamais éteinte dans mon coeur au contraire j’ai pu voir à quel point il réchauffait en moi des zones depuis longtemps endormies et gelées. Le dégel ne se fait pas sans douleur, ni sans perte, il faut accepter de couper avec ce qui n’est plus vivant en nous. Au sortir de l’hiver, il faut prendre le temps et préparer à l’intérieur de soi tout ce qui va exploser au printemps. Plus on attend, moins on craint de voir geler à nouveau les précieux bourgeons et les fragiles fleurs qui leurs succéderont. Les leçons de ténèbres, c’est accepter d’aller au plus profond de soi, confronter ce qui nous fait peur, réparer ce qui est brisé, renforcer son lien à la terre pour pouvoir à nouveau s’ouvrir au monde, éclore dans l’univers et rayonner au printemps suivant.
L’hiver n’est pas la saison de la mort, c’est la raison où la vie se retire et s’épure dans ce qu’elle a d’essentiel, c’est un retour au fondement, au coeur de ce qui nous anime. Pour vivre le mouvement, il faut de la stabilité, pour percevoir la lumière il faut de l’ombre, l’équilibre de notre univers se fissure, mais nous pouvons rester ancrés, renforcer notre être par des épreuves afin de pouvoir vivre ce qui nous attend. J’ai confiance dans la lumière, elle va revenir, car les cycles du vivant par leur évidente simplicité et leur connexion à l’énergie globale, dépassent les manipulation des hommes.
Très beau, au plaisir d en discuter autour d un thé bientôt
J espère que tu vas mieux et que tu as pu avoir des réponses pour la suite de la mobilité de ton poignet.
Cette année a été si étrange pour moi également et je songeais aussi à écrire quelque chose…peut être m as tu donne l’élan pour le faire ? Je vais encore y réfléchir un peu…
Je t embrasse et te souhaite de belles fêtes