Nature et culture

J’ai bientôt quarante ans et dans mon chemin de vie je suis passée par plusieurs phases, plusieurs moments. Née comme tout le monde dans l’état de nature, j’ai passé toute mon enfance et ce jusqu’à mes 30 ans dans un manque de culture, avide de cette dernière, à travailler dans la culture,  puis en vivant en ville, dans le monde des médias, dans l’image, la projection. Depuis 10 ans, j’ai ouvert les yeux sur une souffrance chronique de mon corps, j’ai repris ma vie en main, c’est à dire au lieu de tenter de contrôler mon corps avec des médicaments, j’ai appris à écouter ses signaux à vivre avec mon corps et mon esprit dans une forme d’harmonie.  J’ai appris la beauté et l’énergie de la vie, j’ai appris énormément ces dernières années en travaillant avec les plantes et avec le vivant (notamment avec les bactéries).  Aujourd’hui je pense que l’humain est beau dans ce qui le relie aux animaux, aux plantes, aux éléments et aux autres humains.

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Il y a 10 ans, la nature m’inquiétait, parce que j’étais en lutte contre ma propre nature, parce que j’avais peur des ressentis et des forces qui en moi bouillonnaient sortaient par des chemins non conventionnels d’un corps que j’essayais de contrôler de toute force.  Dans des vêtements serrés, insignes sociaux, dans un contrôle de mon alimentation, dans une auto médication qui faisait que je ne sortais jamais sans une petite pharmacie sur moi. Ce contrôle extérieur, chimique, ne m’a pas été imposé, mais la société m’a proposé tous ces moyens de maîtriser mon corps, ses hormones, ses fluides, ses gaz, ses miasmes, ses effluves, il n’était pas d’expression que je ne pouvais faire taire avec l’aide de la chimie et de la pharmacopée.   Ce traitement de choc, mon corps, me le rendait au centuple, avec tout un tas de réactions, d’irritabilité, d’effets indésirables  qui se manifestaient toujours dans ma vie sociale et me donnèrent envie de me couper des autres (toute coupée de moi même que j’étais déjà). Je me suis isolée, j’ai vécu dans la souffrance, loin des autres, dans une profonde incompréhension de qui j’étais.   Mais en surface, je menais une vie plutôt amusante à travailler dans le cinéma, ce milieu culturel plutôt superficiel qui sous couvert de distraction des masses, ne fait que renforcer les idéologies dominantes par un jeu d’auto censure tout à fait fascinant dont j’ai été le témoin pendant plusieurs années…

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La reconnexion avec mon corps et ma nature profonde ne s’est pas faite du jour au lendemain, il a fallu la douceur du yoga combinée à la thérapie et surtout il m’a fallu faire le deuil de ces ambitions extérieures, l’idée même d’un travail salarié dit « normal » et d’une vie « normale » ont du être questionnées.  La nature fait peur, sa sauvagerie, sa violence parfois, son énergie sont autant d’éléments que j’avais essayé d’enfermer en moi comme étant  inférieurs.  Les besoins naturels font sans cesse l’objet d’un apprentissage à patienter, à différer, à juger honteux, voir à nier ce besoin. Depuis notre enfance on nous enseigne qu’il faut manger à l’heure prévue par d’autres (mais pas forcément quand vient la faim) qu’il faut finir son assiette, même si on n’a plus faim, qu’il faut éviter de faire du bruit comme inspirer de l’air avec sa soupe (alors que dans d’autres cultures au contraire c’est socialement demandé cf. le Japon). La liste est longue de tous ces besoins dont nous nous sommes coupés et qui sont tombés peu à peu sous les diktats de la culture (et de la bien pensance, voir même de la pensée unique).

Opale

Hier des amis sont passés et m’ont apporté un nouveau mot que je ne connaissais pas :  l’adjectif féral   qui qualifie une espèce domestique retournée à l’état sauvage  pour les animaux ou alors une espèce végétale cultivée qui croit hors de l’espace destiné à sa culture.  Je les remercie pour avoir ajouté ce mot à mon vocabulaire, car il qualifie très à propos mon ressenti actuel, celui d’avoir été cultivée et de vouloir revenir à la nature, cette idée de pousser et vivre à côté de la case attribuée me parle également.  Ce n’est pas un retour en arrière, une volonté de venir à un état de nature idéal (car pour moi la nature a toujours été plus ou moins suspecte et inquiétante), mais c’est plutôt faire le chemin vers la nature, afin de trouver sa nature, son identité et sa liberté.  La mauvaise herbe qui pousse n’importe où dans le béton et témoigne d’une force de vie étonnante est une image que j’ai toujours aimée.  C’est amusant aussi comme les plantes qui m’intéressent et avec lesquelles je travaille sont des plantes communes, plantes de friches qu’on pourrait dire invasives, en tout cas dont la résilience et l’adaptation n’est plus à prouver.   La nature pour moi n’est pas un trésor à protéger en choisissant quelles espèces ont de la valeur et quelles autres il faut négliger. La nature est une énergie protéiforme, un flux variable et inattendu qui nous transcende, nous traverse, nous crée, nous parle, nous lie et tout ce qui consiste à  séparer, à distinguer, à nommer, à emmurer est anti-naturel. Il importe ensuite à chacun d’apprécier et de définir la façon dont nous sommes reliés à ce grand Tout Naturel.  Ainsi la séparation que j’ai toujours ressentie entre nature et culture s’altère peu à peu en moi, comme une blessure qui se referme, une fracture qui se résorbe et je retrouve ainsi la force, l’énergie et l’instinct  qui me guident vers la féralité.

PS : c’est un plaisir d’ajouter à son vocabulaire de nouveaux mots qui ne sont pas issus de la novlangue actuelle.

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