Chaque petit pas compte

L‘une de mes erreurs, je l’admet aujourd’hui, a été de tenter de vivre à distance de moi-même. Cette impression un peu étrange qui peut se résumer par « marcher à côté de ses pompes », c’est ce que j’ai l’impression de vivre depuis des années.

Je m’explique : j’ai basé mon fonctionnement depuis très longtemps (tellement longtemps que je ne me souviens plus depuis quand exactement) sur un jugement intellectuel. Mais le juge en moi a très rapidement pris le pas sur l’autre partie de ma personnalité, celle plus libre qui voulait expérimenter et vivre.   Or le juge a tranché dans le vif, estimant que ces expériences, le plus souvent  néfastes puisqu’elle entraînaient de la souffrance à terme, devaient être abolies. Le juge en moi a flatté mon égo en me disant que j’étais au dessus de ça, en critiquant toute action irréfléchie et en m’enjoignant à la plus grande prudence quant aux conséquences d’actes spontanés.  Par actes spontanés j’entends toutes les manifestations de  joie, d’émotion, de peur, de colère, de faiblesse. Très vite j’ai appris à tout juger et à pré-juger, à évaluer et à ne pas montrer qui je suis, ni ce que je ressent véritablement.  Dans les livres, les films, dans les récits des autres, j’ai trouvé de quoi nourrir mon jugement et à chaque fois, je me félicitais de ne pas tomber dans ce piège de vivre à fleur de peaux, d’exprimer sans réserve mes émotions. Tout en rêvant en secret que de tels moments viennent bouleverser ma vie.

A trop vouloir ressembler aux autres, en jouant au caméléon, j’ai perdu mes couleurs.

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D’abord j’ai appris à juger, puis j’ai appris à écouter.  Ecouter les autres, partager leur point de vue, comprendre leurs émotions, qu’elles soient réelles ou imaginaires.  Apprendre à lire les corps, les visages, les micro expressions, les intonations, pour mieux me perdre en eux, me nourrir en vampire de la vie des autres.  Je me sentais protégée à l’abri du mince écran de fumée, qui faisait croire que j’étais comme eux. Mais ma différence, mon indifférence, m’ont rattrapé.  

De juge des autres il n’y a qu’un pas à se juger soi même.  Je suis devenue exigeante, perfectionniste, avec une volonté d’apprendre sans limite.  J’érigeais ces attitudes en qualités morales, négligeant mon être, méprisant mon corps, ignorant tout ce qui se passait ailleurs que dans le cerveau.  Sous la peau, ça cognait, dans mes entrailles ça grognait et ces expressions grossières de mon corps se sont muées en douleurs chroniques, en peurs paniques. Mais je ne voulais pas entendre mon malaise, et je l’ai trainée de longues années, sans le questionner, juste parce que je voulais à tout prix me croire normale. Et puis tant que ces problèmes étaient vivables, je les évitais soigneusement, peu à peu ils ont rongé ma vitalité, jusqu’à m’enfermer en moi-même.

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 Maintenant que j’ai pris conscience de tout cela, le plus difficile pour moi reste à faire.  Je dois me re-former, m’accepter et m’aimer.  Re-apprendre à vivre, c’est comme apprendre à marcher, il faut y aller pas à pas. Pour l’écriture, c’est pareil, mon grand projet d’écriture de roman ne se fera pas aussi facilement que je l’avais espéré.  Mais pourquoi pas jouer avec des textes courts, proposer à des revues locales une contribution modeste, me familiariser à nouveau avec  mes mots.  J’observe que ça me prend du temps, j’ai longtemps pensé ce petit texte avant de le coucher sur papier.  Maintenant il faut l’envoyer, passer l’épreuve du jugement des autres.  Et tenter d’assourdir dans ma tête, la voix qui toujours me murmure que ce n’est pas assez bien, pas assez original et que je devrai faire mieux. NON je ne dois rien à personne ! Maintenant que je vois mieux les mécanismes à l’oeuvre qui sabotent mon esprit et ma créativité à coup de peurs et de jugements, je peux les regarder en face, les contrer par quelque affirmation positive et percevoir l’irritation que ça provoque chez moi, mais en conscience.  Chaque pas compte, chaque moment de doute est minutieusement observé et puis accepté avant d’être contré en douceur, j’ai appris à mieux me parler, à mieux m’aimer et doucement je m’apprivoise.

Une beauté

3 Comments Write a comment

  1. « Me familiariser à nouveau avec mes mots », c’est amusant car cette phrase peut faire figure de double sens. Finalement c’est en comprenant ses propres maux et son fonctionnement en toute transparence que l’on avance pas à pas comme tu le dis. Cela demande beaucoup de sincérité et un peu de courage, mais on y arrive je crois ! Tu écris déjà très bien, et on aimerait vraiment pouvoir te lire sur le support d’un roman. Je suis sûre que ça viendra vite et en attendant c’est une bonne idée de t’exercer sur du court.
    Moi j’ai une histoire à raconter, mais je me sens complètement incapable de l’écrire.
    Bises

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    • Merci Zelda pour tes mots qui m’encouragent à continuer le travail que j’effectue sur les maux. Merci aussi pour la jolie photo d’Opale, ma perfection apprivoisée ! Et même si tu n’écris jamais ton histoire, peut-être aimerais-tu la raconter, moi en tout cas, j’adore écouter les histoires des autres… A bon entendeur !

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  2. Pingback: Publiée | Caroline Cochet

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