Dans l’ancien quartier des abattoirs de Bordeaux, au bout du quai de Paludate, Marlène tient depuis 1981 un restaurant d’ouvriers. L’établissement hérité de ses parents, installés là depuis 1975, était un bar casse-croute « les gens apportaient un morceau de viande, on faisait cuire la viande avec un légume, on vendait beaucoup de cafés parce qu’on ouvrait à 4 heures ». A l’époque, il y avait les ambulants, ces postiers qui triaient le courrier dans les trains. Le quai de Paludate était une rue très vivante la journée, avec des commerces pour les ouvriers et employés des entreprises alentours. Aujourd’hui, le quai de Paludate est plutôt une zone nuit avec des boîtes ouvertes le soir. Le matin en ouvrant son établissement, Marlène retrouve les restes des soirées festives de la veille : des centaines de bouteilles devant sa porte et parfois quelque soulard. Ca n’est pas un endroit facile.
Au fil des années, Marlène a su se constituer une clientèle fidèle d’habitués qui aiment retrouver le goût de la cuisine simple : la daube, la morue le vendredi et tous ces plats traditionnels qu’elle aime cuisiner et dont elle adore transmettre les recettes et tours de main. Ici on vient pour la nourriture parce que c’est sans chichi, mais aussi pour l’accueil toujours souriant et chaleureux de Marlène. Une fois par mois, Marlène donne des cours de cuisine française à des étudiants en médecine venus de l’étranger, ils ont ainsi appris à faire la blanquette de veau, la morue-carotte-pomme-de-terre aïoli et la mousse au chocolat.
Ca me fait du bien, à moi, de donner.
Aujourd’hui, Marlène travaille avec son mari, Jean-Pierre, qui tient le bar et sa fille qui vient l’aider trois jours par semaine. Par la suite, celle-ci pourra reprendre l’établissement si elle le souhaite, mais il faudra qu’elle soit un peu plus entière dans le commerce, pour l’instant c’est une bonne mère de famille « elle élève ses enfants, ce que je n’ai pas eu vraiment le temps de faire avec elle ».
La gestion d’un restaurant qui sert entre 50 et 100 couverts n’effraie pas Marlène qui nous livre ses petits secrets d’une cuisine simple et de bon sens. Il faut savoir gérer son temps, elle a appris a s’organiser. Tout est frais, rien n’est surgelé. Pour aller manger dans l’arrière salle, on traverse la cuisine avec son garde manger à l’ancienne et ses cuivres, du coup rien n’est caché. Marlène adore donner les recettes de ses plats, raconter leur simplicité et les faire partager. Le far Breton c’est facile : « vous faites macérer les pruneaux dans du thé avec du rhum 24H à l’avance. Puis c’est 250 grammes de farine, 3 œufs, 1 litre de lait, 175g de sucre, on fait tourner au robot et puis avec les pruneaux dénoyautés, on enfourne. »
Marlène prépare de temps en temps le repas sportif d’avant le match pour les équipes de rugbys masculin et féminin qui viennent rencontrer l’UBB. La clientèle de Marlène est variée : les routiers, les employés des bureaux alentours, les habitués qui viennent manger depuis une ou deux générations.
Je ne pensais pas être capable de faire autant de repas il y a 20 ou 30 ans.
Née en Algérie, issue d’une famille de 10 enfants, avec un père militaire, Marlène a repris le commerce de sa mère qui s’appelait l’Etable. « J’ai appris en la regardant faire ». Marlène est intarissable sur les restaurants des quais de l’époque de ses parents. Elle se souvient de tous les noms : le Grand Pavois, le Béarn, le Pourquoi pas, chez Maïté devenu chez Pedro et puis chez Roland et le Garonnais…
Les souvenirs des noms sont précis, mais c’est surtout le souvenir des gens qui émeut Marlène. « Les gens qui étaient en face aux abattoirs sont toujours présent dans ma vie. Ils ne sont plus de ce monde, mais ils m’ont tous laissé un souvenir, c’était des gens humbles. » Il y a tant d’histoires et de rencontres nées chez Marlène. Elle a vu deux inondations de la Garonne en 1981 et en 1987, un mètre d’eau dans le restaurant. Il y avait une charrette à bras rue Terre de Bordes et aussi les chevaux qui s’échappaient des abattoirs parfois. Le quartier n’est pas facile, il y a les prostituées des quais dont personne ne s’inquiète, parfois elle en engage une pour la plonge ou le service, mais ces oiseaux là ne restent pas. Marlène évoque aussi l’histoire d’un SDF qu’elle a aidé pendant un temps et dont elle a vu la fille en pleurs face à la déchéance de son père. Marlène aime les rencontres, comme ce chauffeur de car qui transportait des enfants et qui parfois venait faire des crêpes dans sa cuisine.
Toutes ces personnes, je ferme les yeux et je les vois.
Avec son tablier rouge, ses jolies lunettes, Marlène s’admire dans le portrait de Julie « je suis fleurie aujourd’hui ». Il y a de la générosité dans sa voix, et en même temps c’est elle la patronne ! Elle mène sa barque, toujours prête à offrir les restes de la cuisine avant de partir en vacances ou à organiser une paëlla gratuite pour fêter les 40 ans du restaurant. Si vous passez devant chez Marlène, ne vous arrêtez pas à la devanture et rentrez prendre un café ou mieux goûter sa cuisine et écoutez-la parler du temps passé, sans nostalgie, avec simplement l’envie de partager.
Dessins Julie Blaquié / Texte Caroline Cochet / Projet Elles St Jean
Chez Marlène – 33 quai de Paludate – 33000 Bordeaux
N’étant pas de la région bordelaise mais travaillant en déplacement, donc n’étant pas un habitué, mais y allant selon mes pérégrinations professionnelles dès que je le peux depuis 1989, et ayant connu l’ancien restaurant de Marlène rénové depuis, je conseille ce restaurant « ouvrier, » avec une cuisine maison, et ambiance familiale. Ici, c’est la vie ; déconseillé aux personnes désirant déjeuner dans un silence où on entend une mouche voler… Arriver avant le « coup de bourre » pour avoir une place. Merci Marlène, bon courage et bonne continuation.