La question de la limite, de la frontière, de ce qui nous protège est toujours présente dans notre relation aux autres comme dans celle que nous entretenons avec le monde qui nous entoure. Il n’est pas anodin que les conflits majeurs soient ceux que l’on a immanquablement avec son voisinage et puis plus largement avec les pays alentours… Dans notre monde intérieur, la question de la limite se pose sans cesse, d’abord parce que nous sommes à la fois des êtres limités (par la matière, par les règles de la société, par notre peur ou nos craintes) mais une part de nous existe sans limite et peut aller se relier au monde, peut voyager dans le temps et l’espace, peut se diffuser sans notre contrôle. Cette part sans limite c’est ce qui constitue l’âme (non pas notre âme individuelle, qu’il faudra peser au jugement dernier) mais plutôt l’âme collective, l’énergie, la source à laquelle chacun de nous est relié et nourri (que nous en ayons conscience ou pas ne change rien à ça). Notre énergie, c’est ce que les autres viennent chercher en premier lieu à notre contact… C’est comme une source qui jaillit et qui peut abreuver tous ceux qui nous approchent, ou au contraire se tarir, se raréfier, au point qu’on a besoin d’emprunter celle des autres pour vivre. J’ai longtemps cru que je devais me protéger des autres, car j’avais la sensation que mon énergie m’était empruntée voir même volée parfois. J’ai manqué de confiance et j’ai eu besoin de me protéger en construisant des murs autour de moi. Maints fois je les ai fait tomber, pour en reconstruire de plus légers, de plus ouverts, et aujourd’hui cette barrière n’est plus qu’un mince filet, mais j’en ai besoin pour me protéger.

En observant la ronce, cette plante « invasive » dans mon jardin tinctorial, je me rend compte à quel point cette plante a pour fonction de protéger les espaces, de les rendre inaccessibles, de matérialiser une limite, une barrière, une frontière. C’est la frontière entre le monde sauvage, celui qui se régénère par lui même qui fonctionne en autonomie, et le monde domestique celui qui nous est familier que nous empruntons au quotidien, qui nous est confortable. Me voilà en train d’arracher la ronce du jardin, tout en lui assurant que je serai là pour le protéger, qu’il n’a plus besoin de cette barrière, que je vais respecter son besoin de retour au sauvage, à la terre, à la forêt. A chaque ronce que j’enlève, d’abord en aérien dans leurs tiges épineuses, puis dans leur racines, prises dans les racines d’autres arbres, dans leur longs bras qui courent sous le sol afin de créer de nouveaux plants, je peux voir que la ronce est une protection efficace pour le sol du jardin, qu’elle abrite une vie et un humus riche, qu’elle n’est pas mon ennemie. Là où il y avait de la ronce, je plante du calendula, pour apaiser, calmer, et soigner ces espaces que je regagne petit à petit, tout en entendant leur message.
Je leur répète tout comme moi que, cette protection n’est plus nécessaire, qu’elle nous encombre, et nous éloigne des autres, de leur rencontre. J’espère trouver un jour la force d’ouvrir complètement mon être aux autres sans me faire dévorer, sans me faire envahir, sans souffrir à outrance… C’est un apprentissage, c’est un art martial que de pouvoir s’exposer sans craintes ni douleurs. En attendant parfois je préfère sortir les épines et griffer avant d’être blessée.

A ceux qui voudraient voir tomber les protections, les filets, les limites que je pose aux autres, je dois vous dire commencez par m’apprivoiser, par m’approcher avec la plus grande douceur, comme on s’approche peu à peu d’un animal sauvage, d’un enfant blessé, d’un jardin abandonné. Pour faire tomber les protections et les limites, il faut établir la confiance avec patience et cohérence, il faut montrer patte blanche, ne pas faillir, être attentif à tous les infimes signes de replis d’un Bernard l’hermite sans coquille ou à la nudité discrète d’un jardin sans roncier.