Dissonance & Dépendance
Je vis depuis des mois dans un monde qui a implosé et dans un corps fracturé que j’essaye de reconstruire. J’ai tenté de préserver les liens qui m’unissent à mes proches, au monde et à la société, mais je n’arrive plus à faire semblant. Je n’arrive pas à me dire que tout vas bien, ni à trouver la force de vivre dans un monde qui ne cesse de s’effondrer sous mes yeux, sous mes pieds. Je voudrais pouvoir m’abstraire de tout ça (ce que je fais la plupart du temps). Je sais que face à l’effondrement extérieur, il me faut renforcer mon monde intérieur. Travailler mon équilibre, mon ancrage, et continuer à encaisser les coups d’où qu’ils viennent.
Je suis fatiguée, mais je dois rester debout. Je suis émotive, mais je dois rester calme. Je suis rejetée, punie, humiliée (socialement parlant) mais je dois rester digne. Je suis lassée de vivre dans une réalité qu’une minorité seulement partage. Dans un narratif que si peu de gens comprennent et parviennent à penser. Je voudrais comme tout le monde sentir la châleur du groupe, de la meute, de la masse. Quand enfin un discours me semble censé et rejoint mon impression de vivre en absurdistan, je me met en colère face à l’incompréhension des autres, ou je me met à pleurer face à ma propre incapacité à saisir l’ampleur de l’illusion dans laquelle j’ai vécu.
Dans un monde éclaté, où l’ambition de la société est de briser tous nos liens, je découvre que j’ai plus d’aide, plus d’amis et une famille plus unie et respectueuse que je ne le croyais. Parce que j’ai toujours privilégié la solitude, elle ne me pèse pas. Parce que je connais la valeur des liens d’amitié, d’amour et de partage, je ne les feins pas et j’essaye toujours de les vivre avec honnêteté. Me voilà embarquée dans un long travail qui consiste à fabriquer le fil, mes liens si ténus soient-ils doivent être renforcés, retordus dans un mouvement de spirale, que mon amie Laure nous fera explorer au mois d’Avril. Puis de ce fil, il faudra tisser, l’étoffe, le vêtement unique qui portera mon histoire et mon identité, qui sera protecteur et beau, enveloppe et seconde peau.
Le lien viendra de l’unisson de nos voix mêlées dans des chants chorals qui s’élèveront au dessus de nos corps, vers l’infini des étoiles. On commencera par murmurer chacun dans son coin et puis nos chants trouveront l’harmonie, la teneur de tristesse et de révolte comme un gospel, le choeur des esclaves…
Dissonance & dissidence
Alors il faut bien se résoudre à rejoindre le clan des moutons noirs. Ceux qui pensent autrement, que l’on qualifie de tous les pire sobriquets, drapé sans la bien pensance de la doxa. Penser contre est une habitude et un caractère. Ceux que je retrouve dans ce troupeau hétéroclite ont eux aussi toujours été les bizarres, ceux qui sont toujours un peu à côté, toujours en marge du groupe, incapable d’y entrer ou volontairement à contre courant. La diversité des profils, fait que nous ne pouvons pas faire groupe, nous sommes les solitaires, les associaux, les rebuts d’un monde qui fonctionne au marche ou crève. Nous sommes déjà morts socialement depuis longtemps, ce qui atténue la chute. Nous connaissons l’injustice, la manipulation, la perversion, nous l’avons déjà vécu et en sommes sortis encore vivants. Nous sommes nombreux, mais tellement unique, chacun à notre manière, tellement méfiant, tellement blessés, qu’il semble vain de tenter de créer ce Nous. Nous sommes seuls au monde.
C’est en cultivant notre identité singulière, nos univers créatifs et alternatifs que des voies nouvelles seront explorées, d’abord par une seule personne. Puis peu à peu d’autres suivront. Nous ne sommes pas la masse, nous sommes les grains de poussière qui ne veulent pas aller se cacher sous le tapis, on se multiplie, on est de plus en plus visible, de plus en plus sales et dérangeants, on risque de faire trébucher, ceux dont le but est le grand ménage. Je suis fière d’appartenir à la fange, à la marge, je sais que ma place à toujours été décalée, je ne souffre pas de cette position. Je souffre de l’incompréhension et du manque d’empathie, des jugements hâtifs, des amalgames, des étiquettes.
En dissonance, plus rien ne fait sens et le seul moyen de ne pas sombrer dans la folie c’est de se raccrocher à l’humain, de s’ancrer dans la terre et de vivre aussi droit que possible. En dissonance on est sans cesse dans le faux, mais c’est pour prêcher le vrai, on s’écartèle doucement, et parfois le temps d’un instant on retrouve le bonheur, la simplicité du partage, on oublie les clivages et les faux semblants. J’ai besoin des autres et ils me rejettent. J’ai trouvé ma place et elle est à côté, toujours décalée, jamais vraiment là où il faudrait. Je n’ai jamais été aussi vivante que dans cette mort sociale. C’est aussi ça la dissonance…