Jusqu’alors, quand j’écrivais, il me semble que je n’avais pas une claire conscience des problèmes que je rencontrais, des fautes à ne pas commettre, des exigences à satisfaire. Je ne savais pas toujours éviter le convenu, les lieux communs, les mots trop prévisibles. J’écrivais à l’instinct, et je ne sais si ce vocable est bien approprié. Ce qui me guidait, c’était mon intuition, et surtout, mon désir d’être simple. J’avançais à tâtons, pressentant vaguement la forme que devait prendre la phrase qui s’élaborait.
De nombreux ingrédients participent à cette alchimie de l’écriture. Quand j’écris, je me préoccupe désormais
- d’être sobre, direct, concis
- de trouver le mot juste, l’expression juste, la structure de phrase adéquate. De trouver la justesse du ton. De n’être ni au-dessus, ni au-dessous de ce qui est à exprimer
- de ne pas résoudre un difficile problème d’écriture par un artifice
- de ne dire que ce que je veux dire
- de n’employer qu’après examen des mots qui ont une histoire, un passé
- d’être attentif aux connotations, à l’implicite, aux vibrations qui se propagent d’une phrase à l’autre
- de veiller à l’articulation des phrases, à l’écoulement du texte, au rythme. À la temporalité
- de choisir de préférence des mots qui se réfèrent au sensible, au concret. Donc d’éviter autant qu’il se peut ceux qui désignent des réalités abstraites. De refuser certains termes techniques empruntés à différentes disciplines
- de faire de la musique avec les mots. Grande attention portée à leur sonorité, à leur poids, à ce qu’ils irradient
- de m’en tenir à une intensité retenue
- de rechercher un langage objectif, tout en veillant à lui donner de la chair, de la couleur, du relief
Écrire, c’est travailler la langue mot à mot, syllabe à syllabe. C’est se soumettre à ce qui advient, en restant assez lucide pour pouvoir structurer la matière inorganisée qui se propose. C’est être sensible à toutes les interconnexions qui se nouent à l’intérieur du texte.
J’ai encore du chemin à parcourir – ce chemin n’a pas de terme – mais il est vrai que j’ai toujours voulu acquérir ce savoir-écrire qui associe spontanéité et réflexion, abandon et rigueur, lyrisme et lucidité, ce savoir-écrire qui permet d’accéder à « l’art sans l’art ».
On comprend pourquoi Hofmannsthal – mais est-ce bien lui ?- a pu dire qu’un écrivain est quelqu’un pour qui écrire est plus difficile que pour toute autre personne.
Extrait d’Apaisement, Journal VII 1997-2003 de Charles Juliet