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Par le vide

Trouver son propre silence, le laisser grandir et mûrir, le laisser pourrir et mourir.  Jouer la transe contre le vent, le souffle court sur la nuque et soudain tout risquer, s’arrêter de respirer.  Les mots m’encombrent comme un mobilier trop nombreux dans lequel je me cogne la nuit, cherchant à tâtons la lumière et aïe…  Me voilà prise au piège de leur signification alors que je désire simplement goûter leur consonance.  Il y a de la musique danaums ma tête, mais elle ne dépassera pas la barrière de mes dents bloquées, crispées, les mâchoires serrées comme un étau à mots.  Il y a des voyelles nasales et des consonnes gutturales, des dentales sourdes et des O jamais assez ouverts… OoooooOm !

En moi c’est le grand silence, le chant hurlant de la fille mutique. Si les mots ne viennent pas, c’est simplement que je ne suis pas là pour les faire vibrer, pour les assourdir et les exprimer.  Si les mots ne viennent pas, c’est qu’il  me faut le temps de revenir à  moi, de me réaligner sur ma lignée, de reprendre la fréquence vibratoire, comme un message subliminal qui s’est transmis de gènes en gêne.  Si les mots ne viennent pas, je peux aller les pécher et jouer à les assembler sans queue ni tête, puisque ce qui doit sortir n’a pas de sens, puisque l’expression en est bruyante, ambarassante, nauséabonde, avant d’être musicale… Je ne pensais pas que l’art était aussi sale, qu’il fallait autant de miasmes pour transcender la vie. Je croyais pouvoir m’y adonner sans me salir les mains, sans suer, sans cracher et me voilà nue, ou presque, le crâne rasé, la peau glabre, les traits tirés.  Façon de parler.

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Je fais le vide autour de moi, je me dépouille de tout ce qui me semblait important, de tout ce qui me rassurait : les objets, les croyances, les habitudes et je me découvre peu à peu.  Je me cherche, je ne me sens pas, pourtant mes mains étaient énormes, palmées et courtes, des mains d’enfant à naître, des mains incapables d’attraper quoique ce soit et pourtant si présentes et vibrantes d’énergie et de force… Souvenir d’une sensation qui m’a assaillie et bouleversé lors d’un Yoga Nidra la semaine dernière.  Je n’y comprends plus rien, je suis perdue et je lâche prise avec bonheur, convaincue que tous les fils que je coupe me rapprochent de moi, de ce qu’il reste au fond,   une fois la vie consumée. Au moment des crises, des grands passages, comme celui du col de l’utérus, face à la mort, nous revenons à nous, notre être irradie et se manifeste.  Je vis actuellement l’une de ces morts symboliques.  J’essaye de ne pas penser à la suite, car si je meurs, c’est pour vivre enfin, si je traverse les voiles, c’est pour me retrouver dans mon unicité et ma singularité. C’est pour irradier et rayonner plus que le pâle écho, la réflexion froide dont je me satisfaisait  jusqu’alors.  Sans douleur, sans peur, je quitte votre monde avec la ferme intention de me retrouver dans le prochain, plus lumineuse.  Les âmes damnées dont je suis ne cessent d’errer en quête d’elles-mêmes.  Il est temps de quitter la peur, de la laisser aux vivants pour rejoindre le royaume des  morts.  Il est temps de chanter l’hymen de vie, de rompre le chant de la mort.

J’ai rarement écrit un texte aussi mystique et il faut croire que je deviens, peu à peu, plus sensible à ces questions essentielles.  Avant, je croyais que réussir sa vie consistait à répondre aux attentes et demandes des autres, j’ai vécu à côté de moi-même dans l’apparence, dans l’image avec l’impression de tout voir défiler par la fenêtre d’un train en marche et de ne jamais vivre.  Aujourd’hui je me jette dans le vide, la fenêtre est haute, le balcon surplombe le parking de la cité, mon corps explosé restera le symbole d’une vie à côté, une tâche indélébile, un bruit sourd qui résonne dans la tête, longtemps après le choc.

Poc, Boum, Vlam, Bang, Snap.

Quel bruit fait la mort quand elle nous prend dans ses bras ? Je ne connais que le bruit assourdissant du souvenir muet, du non dit en écho, le cri du vide à l’intérieur.

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Ces gens sans histoire.

Aujourd’hui, je me suis retrouvée chez l’osthéopathe avec le dos bloqué.  Plus aucune mobilité dans la nuque, le haut du dos dur comme un bloc de pierre, la respiration courte et quand l’osthéo m’a touchée le bassin pour tester ma mobilité elle m’a dit : « c’est simple, rien ne bouge ! »  Si je viens ici faire état de mes problèmes physiques,  c’est que chez moi le non dit tente toujours de trouver sa voix par le corps. Du coup deux heures de manipulation pour retrouver un minimum de mobilité et une conversation très intéressante sur les fascias* (un terme anatomique que je ne connaissais pas). Mais surtout, la fascination d’entendre quelqu’un que je n’avais jamais vu avant et qui ne me connaissait pas me dire des phrases comme « vous semblez porter un poids, un fardeau qui ne vous appartient pas », ou encore parlant de mon oppression thoracique « vous avez le coeur lourd » et ce n’était pas métaphorique.  Enfin j’ai été invitée à exprimer ma colère et à en apprécier la décharge d’énergie.

* Un fascia est une membrane fibro-élastique qui recouvre ou enveloppe une structure anatomique. Il est composé d’un tissu conjonctif dense non orienté, très riche en fibres de collagène et d’un epimysium (tissu conjonctif lâche). Les fascias sont reliés entre eux et forment un réseau complexe reliant le sommet du crâne au bout des orteils, de la superficie à la profondeur.
Ils sont connus pour être des structures passives de transmission des contraintes générées par l’activité musculaire ou des forces extérieurs au corps. Cependant, des recherches récentes montrent qu’ils sont également capables de se contracter et d’avoir une influence sur la dynamique musculaire.

La colère, c’est chez moi l’émotion interdite.  La colère c’est cette matière sombre que je préfère toujours ravaler, de peur de blesser les autres. Mais elle m’encombre la gorge depuis dans d’années.  La colère, c’est la possibilité de blesser, de rester incomprise, c’est aussi une énergie dont je me suis coupée volontairement. Ma colère m’effraye.  J’ai surtout peur de perdre mon image positive auprès des autres.  Là encore, montrer de la colère serait pour moi perdre la face, détruire cette image patiemment construite, cette illusion que tout va bien.   La colère, c’est ce qui sommeille en sous terrain, c’est ce qui me fait serrer les dents pendant mon sommeil et peut-être cette colère que je porte et que je crains d’exprimer n’est-elle pas non plus la mienne ?

Le plus fort de ma colère consciente est actuellement tournée contre mes parents, mais comment faire le moindre reproche à ces gens qui cherchent autant que possible à être des parents parfaits?  Il y arrivent en partie et c’est ce qui musèle ma colère… Ainsi récemment je me suis surprise à fondre en larmes en écoutant (et en chantant à tue-tête) cette chanson de Patrick Bruel « Qui a le droit« . Et ce  regard un peu perdu de Patrick tandis qu’il chante ces mots qui me touchent au coeur. A chaque fois que j’entends cette chanson, un frisson me parcoure, de ceux qui révèlent les grandes vérités dans les paroles des chansons populaires.

« A toi aussi, j’ suis sur qu’on t’en a dit,
De belles histoires, tu parles… que des conneries !
Alors maintenant, on s’ retrouve sur la route,
Avec nos peurs, nos angoisses et nos doutes.

Qui a le droit, qui a le droit
Qui a le droit d’ faire ça
A des enfants qui croient vraiment
C’ que disent les grands ? « 

L’air de rien, Patrick, il sait de quoi il parle. Et je le rejoins sur ce point, il faut arrêter de mentir aux enfants ! Mentir en leur racontant n’importe quoi ou mentir par omission (pour les protéger) cela revient au même.  Il faut raconter leur histoire aux enfants, leur dire d’où ils viennent et  comment ils ont été conçus.  Il faut leur dire le bonheur, mais aussi la souffrance et les doutes, il ne sert à rien  de cacher le passé, de l’oublier ou de le taire parce qu’il est douloureux et qu’il pose problème. Il faut tout dire, même le pire, même l’indiscible, il faut trouver les mots.  Sous peine d’engendrer plus de douleur encore.  Ces choses que l’on tait, ces secrets que l’on cache, c’est ce qui nous rend humain, c’est notre identité, tout autant que ce visage avenant que l’on aime à montrer.

Depuis que j’ose dire ma douleur et mes doutes, j’ai obtenu des autres plus de marques de sympathie et d’empathie que jamais.  Si j’apprends à dire ma colère rentrée, peut-être pourrais-je vivre en paix et enfin me sentir libre ?Caro 1

Cette semaine c’était mon anniversaire et tout ce que je voudrais comme cadeau, c’est pouvoir entendre mon histoire, pas seulement ce qu’il reste de bon souvenirs, mais aussi ceux plus sombres qui affleurent souvent dans l’air un peu triste de mon visage. Car malgré tous les efforts de mes parents, je n’ai pas été une enfant heureuse et aujourd’hui je suis en colère contre leur croyance qu’ils pouvaient l’un et l’autre s’affranchir de leur propre histoire, pour en construire une nouvelle à partir de rien, sur la base de leur amour.  L’amour et les bons sentiments ne suffisent pas, on a tous besoin de connaitre la vérité de notre histoire. Qui a le droit de juger ce qu’il est bon ou pas de dire aux enfants ? Patrick l’a bien compris, priver les enfants de la vérité c’est une facilité qui évite la douleur aux adultes mais pour en faire payer le prix aux enfants.

Un jour où l’autre, les sans histoires doivent retrouver la mémoire.

Car cette mémoire non conscientisée est partout dans notre être, dans nos cellules, dans notre corps, notre morphologie en témoigne. Je sais qu’on va me dire fille ingrate, indigne, d’étaler ainsi ma peine et mes petits tracas bourgeois.  Mais comme dans le corps des petits mouvements doux exercés sur les fascias permettent de remettre en place beaucoup d’éléments qui sont tous interconnectés.  Je veux croire que  mon mouvement de libération, si il fait quelques vagues autour de moi, si ma douleur trouve un écho dans la douleur muette de mes proches, c’est que ce lien avec eux qui m’a tant manqué existe bien, mais sous la surface, dans la profondeur de nos peaux.  L’osthéo a comparé le fonctionnement des fascias avec celui d’une couverture qui entourerait le corps, alors moi je tire un coin de la couverture, avec l’envie de voir ce qui se cache en dessous, sous la surface de la peau, dans ce moi viscéral.  Ma colère est là, dans les mots qui vont un jour sortir de moi, elle prend forme peu à peu.

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Leçon de ténèbres

Puisque l’année 2014 est écoulée, que chacun fait le bilan, les listes, les tops de l’année, j’ai envie de me remémorer les heures sombres que j’ai vécues. L’année dernière à la même époque, j’étais  dans le noir complet.  je venais de retraverser le deuil d’une relation aussi toxique que longue à laquelle je m’étais accrochée comme à une bouée  de sauvetage, luttant dans l’eau froide contre les courants contraires sans voir ma détresse ni les appels des autres et leurs mains tendues.  J’avais fini par m’enfermer dans cette détresse sombre, drapée dans cet amour noir qui brûlait en moi d’une douceur familière.

La période des fêtes a toujours été pour moi un moment de doutes, où l’on retrouve sa famille, mais pour partager quoi de plus qu’un chapon bien gras et une indigestion de chocolats.  Il y avait cette obligation, chaque année, d’être là et de traverser ces moments d’un temps partagé qui n’était pour moi qu’apparence et convenance.  L’année dernière j’ai zappé les fêtes, la famille, et j’ai pleuré de chagrin à la perte d’un animal qui m’étais cher.  J’ai refais le chemin des deuils, celui des douleurs grandes et  petites qu’on ne m’a pas toujours laissé exprimer et que j’ai appris à cacher, à enfouir en moi, pour ne pas peiner les autres avec ma souffrance, pour ne pas trop déranger. Puis j’ai retrouvé mon chat. Et dans l’angoisse de ne pas y arriver, j’ai commencé une nouvelle année.

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En 2014 peu à peu les choses ont changé en profondeur. Ce changement ne s’est pas fait sans douleur, sans résistance et sans angoisses, mais il est effectif et il procède d’une évolution profonde qui fait que je peux aujourd’hui savoir que l’année à venir me sera plus douce et plus riche.  Parce que j’ai appris la douceur le respect de moi.  J’ai appris tellement cette année ! J’ai changé pour devenir moi-même et pour assumer ma singularité, ma force et aussi mes faiblesses. La liste n’est pas exhaustive, mais je voudrais dire Merci à tous ceux qui au cours d’échanges et de discussions m’ont aidé à apprendre ceci :

  • J’ai appris à demander de l’aide sans crainte
  • J’ai appris l’humilité et la persévérance au contact des élèves de l’atelier d’écriture
  • J’ai appris à dompter ma peur de voyager et à deviner mon désir caché sous cette peur
  • J’ai appris que j’avais des sentiments et que les montrer n’était pas vraiment me mettre en danger
  • J’ai appris que ma douleur est partagée avec mes aïeux, que mon corps porte leur empreinte génétique et mes cellules leur mémoire vivante. C’est avec eux et non pas contre eux que je peux m’en libérer.
  • J’ai appris à dire oui, un peu plus souvent
  • J’ai découvert la méditation et le pouvoir du moment présent
  • J’ai appris à faire confiance, à ressentir les énergies, les synchronies, et à écouter mon corps
  • J’ai appris que la voix de ma conscience n’est qu’une réflexion de l’égo, je l’ai regardée en face et j’ai été choquée de ce que j’ai vu
  • J’ai retrouvé le goût de lire
  • J’ai appris à me laisser surprendre par moi même sans avoir l’impression de me perdre
  • J’ai redécouvert le plaisir simple de vivre libérée de toute culpabilité
  • J’ai appris que réaliser ses rêves ne signifie pas les faire advenir de toute notre volonté, mais parfois simplement les laisser venir à nous et savoir les accueillir

Il me reste tant de choses à apprendre, à découvrir et à expérimenter.  Ceux qui m’ont aidé dans ces apprentissages sont nombreux et ils se reconnaitrons.  Maintenant il s’agit de laisser libre cours aux mots pour raconter enfin cette histoire « d’une femme libre » qui me tient à coeur et que je porte en moi depuis plus d’un an.

Pour fêter le retour de la lumière dans ma vie et la joie de cette nouvelle année, je vous propose d’écouter ce canon de Pachelbel, qui résonne pour moi comme la joie pure.

 

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Présence

Ce weekend, j’ai participé à un stage de danse organisé par Claude Magne et la Compagnie Robinson sur le thème « présence et mouvement ».  La danse est entrée dans ma vie il y a quelques mois seulement, mais cette pratique me nourrit et ne cesse de questionner mon écriture. Loin de l’exigence de performance et de souplesse du  ballet classique et des pointes qui ont m’ont définitivement brouillée avec la couleur rose et fait croire pendant des années que ce n’est pas pour moi, me revoilà campée sur mes deux pieds, avec mon corps tout raide, toujours un peu trop grand et un peu trop maigre. La danse c’est cette expérience du corps qui se meut, qui s’émeut et loin de l’agitation de la gymnastique, c’est un temps de retour à soi pour se perdre et se retrouver.

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Au cours de ces deux jours, j’ai éprouvé des sensations nouvelles  à commencer par celle de serrer dans mes bras une quinzaine de personnes que je ne connaissais pas. Une expérience inenvisageable sans angoisses il y a quelques mois en arrière. Une manière d’entrer en relation avec les corps des autres à priori.  Les deux axes principaux de recherche étaient « la complétude plutôt que la perfection » et « la présence plutôt que la production ». Nous avons aussi beaucoup travaillé sur la conversation avec l’autre et l’ouverture à l’inattendu. Des termes qui peuvent sembler vagues, génériques, mais qui sont volontairement dénués d’affect pour que chacun puisse s’en emparer et le retranscrire dans sa démarche. Je me suis beaucoup jugée, mais de la part de tous les autres je n’ai ressenti que bienveillance et accueil.  Alors j’ai décidé d’accrocher mon ego au vestiaire et de laisser voir ce qui palpite doucement en moi.  Le samedi soir lors d’une longue impro, je me suis sentie envahie par l’émotion, l’impression de danser en portant sur mes épaules le poids de cette histoire passée, celle d‘Alice.  J’ai revécu sa lutte, sa douleur du moins ce que j’en sais. J’ai dansé pour elle, avec elle, en portant ses maux en étendard de mon malaise.

2ee3aa176d313379d27f993bcf93e53bLe second jour c’est un exercice fascinant d’altérité et de jeu de miroirs qui m’a permis de me confondre et de me voir dans le corps de quelqu’un d’autre.  De cette pratique, Claude a souligné qu’elle était un moyen d’allier technique et lâcher prise, intériorité et extériorité en passant par la médiation de l’autre, par la rencontre.

Ce stage m’a ouvert à moi-même, il m’a redonné l’envie d’improviser au piano et avec les mots.  Il m’a conforté dans l’idée que la technique d’écriture est maintenant suffisamment ancrée en moi pour que je puisse l’oublier un temps.  Elle ne va pas disparaitre, au contraire, c’est dans la pratique et dans un certain relâchement que je vais retrouver cette joie de la maitrise technique.

« Le mouvement n’est pas affaire de spécialiste mais de toute personne qui s’appuie sur sa présence incarnée, sensible, relationnelle, pour dire son « être au monde ». Démarche de découverte et de partage, loin de toute exhibition ou provocation. L’approche doit être douce et respectueuse afin que s’ouvrent les canaux de l’expression. » Claude Magne

Et puis il y a cette présence de l’absence que je commence à accepter, à mieux percevoir et à entendre monter en moi.  La présence de l’absence, c’est un terme employé par Jean-Claude Ameisen dans son émission sur les traces du passé qui m’a tellement parlé que je l’écoute et la réécoute en podcast depuis cet été.  A chaque nouvelle écoute je découvre d’autres informations, une richesse d’évocation qui m’avait échappée les fois précédente tant cette émission foisonne de mots qui me sont destinés.  Et à chaque fois l’émotion me saisit à la fin, les larmes coulent, sans que je comprenne bien pourquoi, la mécanique est claire et pourtant il y a ce surgissement d’un coup qui m’emporte.  Accepter ce qui parle en moi, cet autre qui m’effraye parfois, ce déséquilibre qui me rend difforme et que je cache, mais qui est au fond ma force et mon identité.  Je vais laisser faire le temps, laisser passer les jours, mais je sais que cette pratique m’a marquée dans ma chair, laissé le souvenir le plus profond, celui du corps libéré.

A lire aussi le formidable discours de Patrick Modiano sur son travail de romancier récompensé par le Prix Nobel : « Mais c’est sans doute la vocation du romancier, devant cette grande page blanche de l’oubli, de faire ressurgir quelques mots à moitié effacés, comme ces icebergs perdus qui dérivent à la surface de l’océan. »  Ecoutez ces mots qu’il laisse en suspend dans l’air, et dans lesquels passent la mémoire de tous ceux qu’il a écrit dans ses livres et des autres encore oubliés. Traversez ce discours fleuve, écoutez la voix douce et fragile d’un grand écrivain qui a écrit ce discours comme il écrit ses livres, dans le brouillard d’une route de montagne verglacée.

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Publiée

J‘avais évoqué précédemment une petite victoire sur la procrastination et mon syndrôme d’exigence élevée qui m’empêche toujours d’écrire, l’envoi d’un petit texte sans enjeu à la revue Chemin Faisant.  Eh bien c’est fait, la revue est sortie et mon texte figure en bonne place dans ces feuillets ivoire.

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Samedi soir, je me suis rendue à la fête de lancement du dernier nouveau numéro de Chemin Faisant autour du thème « Menu de nuit ». Dans le bric à brac des ateliers partagés de la Chiffone Rit, j’ai pu apprécier à nouveau l’univers éclectique et magique des créateurs de cette revue.

Chemin Faisant c’est une histoire de transmission entre parents et enfants, c’est ce qui m’a plut dans ce projet.  Une transmission de l’art, de la liberté et d’une utopie des mots libérés de tout carcans qui s’entrechoquent aux photos aux dessins, aux installations éphémères, aux sons plutôt hypnotisant du groupe C’est Bien Ben.  Avec un dessin réalisé pendant le concert.

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Ce qui m’a le plus touchée lors de cette soirée, ce sont les quelques retours sur mon texte « Mes nuits par le menu ». En effet en discutant avec l’équipe, j’ai été très surprise de leur enthousiasme et eux-mêmes se sont dit surpris de la liberté de ton du texte que j’ai envoyé.  En effet ce menu de nuit, m’a inspiré un texte à la fois culinaire et cul, les deux vocables me semblant toujours s’interpénétrer.

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Quand j’ai écrit ce texte, je l’ai d’abord beaucoup pensé, retourné, mis en bouche et les mots sont venus d’un coup, simplement dans la joie d’écrire libre.  Puis je l’ai lu, relu, corrigé, légèrement amendé.  J’ai commencé à le juger, commun, pas aussi bon que je l’aurais souhaité.  Je me suis dit que c’était tellement peu original qu’il serait sans doute recalé, pour sa médiocrité.  Pourtant certaines phrases me semblaient satisfaisantes et pour elles, j’ai fais le choix de l’envoyer, vite avant de le regretter.  Quelques semaines plus tard, un mail m’informait qu’il serait publié, j’en ai été touchée, rassurée et presque surprise.

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Là encore mon démon intérieur, l’Exigeant Paravent (E.P) tentais de scier en douce la branche de l’arbre sur laquelle je grimpais. Son travail de sape m’a poussé à ne plus relire le texte, le laissant abandonné dans un coin.   Samedi soir, quand j’ai reçu ces compliments venant de gens que je ne connaissais pas et qui n’avaient d’autre motivation que de me dire ce qu’ils en avaient pensé, j’ai décidé de le relire.  Finalement, la musique des mots m’a reprise, et je suis heureuse de cette première publication.  Un petit extrait ci-dessous.

Au menu de mes nuits, il y a en guise d’amuse-bouche des coquelicots fardés, lardés de barde grasse et de barbe mangés. A la langue de veaux débitée en tronçons, je préfère l’escargot au beurre d’ail.  Gastéropode que l’on tire de sa coquille à l’aide d’un petit pic dont les pointes fourchues viennent me chatouiller la plante des pieds.

Mes derniers textes publiés l’ont été dans le journal du collège il y a presque 20 ans, ensuite j’ai écrit dans plusieurs blogs, et  j’ai créé un magazine de tricot en ligne. Je passe mon temps à écrire et pourtant, qui me lit ? J’écris pour juger les autres, C’est mon travail… Comment dans ces conditions me libérer ce de juge si exigeant ? Sans doute en écoutant vos retours.  Si ce premier texte vous intéresse, je vous invite à découvrir la revue Chemin Faisant en vente à Bordeaux à la Machine à Lire (tous les points de vente).  Merci à toute l’équipe pour leur confiance et leurs encouragements, je serai au RDV du prochain numéro « Douze ». Bonne lecture à tous et n’hésitez pas à me dire ici ce que vous en avez pensé.

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Toutes les photos de cet article sont de Solweig Cheron, merci pour ce prêt.

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Changer

Je me suis souvent sentie pleine de paradoxes, ne sachant pas entre une posture et une autre laquelle était vraiment moi et laquelle était une simple réaction. Un jour j’ai dit sur un autre de mes blogs que j’étais versatile.  Je sais que ce qualificatif a des connotations négatives, mais c’est ce que j’ai trouvé de plus juste pour qualifier les fluctuations de mon esprit.  Je change souvent, sans toujours bien savoir qui je suis. Ces derniers temps, j’ai beaucoup travaillé sur le sujet de mon identité, recherchant mes racines dans des histoires anciennes et questionnant également l’image que j’ai de moi-même, la confrontant à celles que me renvoient les yeux des autres comme autant de miroirs déformants. Peu à peu, j’ai changé. Changer prend du temps, mais c’est toujours plus rapide que le temps que l’on passe à ne pas vouloir changer, à tenter de sauver les apparences pour les autres et surtout pour soi. Attention quand je parle ici de changer, ce n’est pas changer pour devenir autre, pour être mieux qu’avant, c’est changer pour devenir soi. Pour être plus en contact avec ce que nous sommes vraiment, notre Être, notre essence. La force du changement, c’est que bien qu’il ait lieu sur un plan psychologique, on en ressent également les bénéfices sur le plan physique.

Les 4 étapes fondamentaleClose-up_web-7_440s du changement (tirées de ma propre expérience). Je tire ici les conclusions des dernières semaines et des derniers mois passés à changer. Le changement est un processus, il continue de faire son oeuvre, mais j’ai à présent une vision plus claire de l’ensemble des étapes et je vous les livre ici, sous forme de considérations générales.  J’insiste sur les sensations physiques décrites à la fin de chaque étape qui ne sont pas toujours les mêmes selon les personnes.

Le chemin du changement est semé d’embuches, de la prise de conscience d’un malaise ou d’un manque à la réalisation que l’on a finalement résolu son problème, il faut s’armer de patience.

 1 La prise de conscience est un premier pas.

Close-up_web-15_440Parfois lente, parfois brutale, elle est souvent retardée par la peur, l’idée qu’en confrontant son problème, on va encore l’aggraver.  En effet après la prise de conscience la spirale de la lutte et ses douleurs arrivent. On ressent souvent de la colère et de la rancoeur qui redoublent la douleur d’être soudain confronté à soi-même et à ses problèmes.  Toutes ces choses que l’on voudrait toujours oublier mais qui sont bel et bien là présentes et à la vue de tous. Vivre sans prise de conscience revient à danser  sur un plancher à trous. On recherche la joie et la légèreté en essayant d’oublier l’angoisse de se tordre les chevilles à chaque instant. Certains dansent, aussi vite qu’il le peuvent, et pensent par le mouvement perpétuel pouvoir oublier les trous du sol sur lequel ils évoluent en funambules.  J’ai choisi de rester dans un coin de la pièce et d’observer froidement  les écueils et renonçant à la danse. Les anglais ont cette expression que j’aime bien pour évoquer le non-dit ils disent « an elephant in the room »  ce truc absolument énorme,  que tout le monde voit, autour duquel on tourne, mais dont on ne veut pas parler et que l’on feint d’ignorer. Quand le non dit est verbalisé, quand la prise de conscience a lieu et qu’un premier pas vers le changement est effectué, à  ce moment on ressent un certain soulagement.  C’est un soupir d’apaisement qui vient en premier, parfois aussi une grande fatigue ou un état de confusion si la prise de conscience à été brutale.

2 La seconde étape du changement c’est  la lutte ou la résistance.

Close-up_web-17_440C’est le moment le plus douloureux, le plus pénible, c’est celui qui fait rebrousser chemin, souvent on oscille entre prise de conscience et résistance.  On se demande pourquoi la prise de conscience ne fait pas miraculeusement advenir le changement tant attendu.  On a tellement été habité à voir ces moments de  « break through », c’est à dire de révélation, où soudain dans la prise de conscience un changement s’opère instantanément.  La prise de conscience réoriente l’esprit, mais pas les actions ni les habitudes qui sont le plus difficile à changer. En réalité de nombreuses personnes  sont tout à fait conscientes de leur problèmes.  Ce qui leur échappe (et c’était mon cas) ce sont leur mécanismes de défense, leur mode de lutte qui s’activent dès qu’ils tentent de changer.  Ces mécanismes s’activent à notre insu pour  perpétuer des schémas mentaux (le plus souvent protecteurs et défensifs) issus de l’enfance. On a alors l’impression de lutter contre soi-même, de se perdre, de s’écrouler.  La lutte peut prendre la forme d’une certaine violence, d’une grande colère, elle peut aussi se muer en dépression, elle fait toujours souffrir. Quand on veut y échapper  elle prend aussi la forme d’une fuite dans les drogues ou l’alcool.  Le moment de lutte est celui où on se replie, les épaules rentrées vers l’intérieur, la tête basse, on se protège, on est sur la défensive, elle se caractérise par une tension générale du corps, des maux divers et beaucoup de douleur.

3 La troisième étape c’est l’acceptation.

Close-up_web-41_440Cette étape est cruciale et reste la plus mystérieuse, la moins étudiée et décrite. L’acceptation d’un état de fait bancal, l’acceptation de son propre malaise. Cette étape d’acceptation est essentielle, c’est aussi l’étape qu’on appelle « lâcher prise ».  J’en ai déjà parlé parce que je croyais que lâcher prise était un synonyme de faiblesse, d’abandon de la lutte, de retour en arrière. Comme il m’était impossible de lâcher prise, je me refusais cette acceptation. Pourquoi me plier à des lois que je ne reconnaissais pas ?  Le rejet, le doute, la remise en question, tout phénomène de justification de nos souffrances et de nos douleurs est le signe que cette étape d’acceptation n’est pas accomplie.  L’acceptation c’est aussi prendre conscience que le risque n’est pas celui  que l’on croit, que nos peurs nous tiennent, nous dirigent et nous définissent plus que nos désirs. L’acceptation n’est pas une posture mentale qui peut être feinte, c’est le passage le plus difficile et c’est elle qui marque le véritable changement. L’acceptation c’est aussi et surtout s’accepter soi-même et apprendre à mieux se connaitre. L’acceptation vient du coeur, elle libère les tensions dans tout le corps,  principalement dans le haut du dos, les épaules, les trapèzes. Elle s’accompagne d’une sensation de légèreté, de douceur, de bien être et parfois d’euphorie.

4 La dernière étape est à nouveau une prise de conscience.

Close-up_web-8_440Celle ci a lieu quelque temps après la lutte et l’acceptation,  alors que la situation s’est apaisée, que l’on retrouve un nouvel équilibre, un jour sur un petit détail on se dit « J’ai changé » ou le plus souvent on nous dit « tu as changé ». Vous avez remarqué qu’on ne dit jamais « je change » ?  Pourquoi ? Parce que quand on dit j’ai changé, ce n’est pas pour évoquer un changement radical lié à notre Être, mais plutôt un changement de posture de notre égo vis à vis de ce que l’on est, un pas supplémentaire dans l’acceptation de Soi. Au moment où l’on change, ce que l’on  pourrait dire c’est « je souffre, je lutte, je suis perdu, j’ai peur » toutes ces choses que l’on ne peut pas dire et qui sont difficilement acceptées socialement alors on ne dit rien et on attend le retour du calme, soit en retournant à son état de malaise initial si on ne parvient pas à l’acceptation (après tout c’était pas si mal et bien moins pire que de traverser les prises de consciences et la lutte pour s’accepter) soit en acceptant ce qui vient sans jugement, avec bienveillance et douceur. Notre corps et notre regard intérieur sont à nouveaux alignés, il y a de l’harmonie, de la joie et plus de stabilité à l’intérieur pour affronter les prochaines tempêtes. Mais aussi une meilleure conscience de notre fragilité et une forme d’ouverture intérieure.

Conclusion

Alice

Alice Guilhem 2.7.1901 – 10.01.1941

Le plus important dans le changement, c’est qu’il doit être l’occasion de se rapprocher de soi, de se révéler à soi-même.  Si vous changez pour devenir autre, pour vous fuir, parce que vous vous jugez, ce changement restera superficiel et il n’apportera que plus de résistance  et de douleur dans votre vie.  Changer, c’est s’accepter de plus en plus, se reconnaitre dans son unicité.  Paradoxalement beaucoup de changements passent par une reconnexion avec celui ou celle que nous avons été enfant.  Changer c’est travailler son identité, mais sur le mode de l’Être et pas sur celui du paraitre, de l’apparence, ni même pour faire plaisir à d’autres.  On change pour soi, pour devenir un peu plus celui que l’on est, pour ouvrir à notre Être de nouvelles perspectives.  C’est pourquoi j’ai choisi d’illustrer cet article avec quelques portraits de la série « Français » de Seb Lascoux.  Allez la découvrir dans son intégralité, elle est régulièrement augmentée de nouveaux visages et tous ces visages tellement différents ont au fond des traits communs, une beauté partagée, celle d’un sentiment d’identité partagée, qui n’a rien à voir avec des théories politiques de gauche ou de droite.  C’est dans la diversité, dans le multiple, et dans le versatile que l’on définit le mieux l’identité de chacun. Dès que l’on est enfermé dans une catégorie, coupé de notre complexité, de nos racines, de ce que l’on porte en soi d’unique, on est mutilé, on est nié, on est jugé. Le regard du photographe, par un dispositif égal pour tous, nous donne à voir au delà de l’apparence, ce qui nous relie les uns aux autres. Je le remercie pour sa confiance et le prêt de ses images.

Toutes les images de cet article excepté la dernière sont tirées de la série de portraits « Français » photos de Seb Lascoux.

    Changer tout seul  ?  Pas si facile. Si vous devez un jour effectuer un travail sur vous même pour évoluer, je vous invite à vous faire accompagner.  Beaucoup de personnes (et j’en ai fais partie) pensent encore qu’aller voir un psy ne se justifie que si l’on est un peu fou, ou dans un état de souffrance intenable, de même si vous êtes artistes ne craignez pas d’y perdre votre créativité en vous libérant de vos névroses.  J’ai longtemps pensé pouvoir résoudre mes problèmes directement sans l’aide d’un tiers, mais aujourd’hui je sais que cette démarche m’a été salutaire.  Il faut choisir la bonne personne, l’approche qui vous convient, mais rappelez vous que vous êtes en charge du gros du travail.  Le thérapeute est là pour vous accompagner et vous guider avec bienveillance, dans une écoute active, ce qui n’a rien à voir avec l’écoute que peuvent vous apporter vos amis et de vos proches.

Article

Paroles d’auteurs

 Jusqu’alors, quand j’écrivais, il me semble que je n’avais pas une claire conscience des problèmes que je rencontrais, des fautes à ne pas commettre, des exigences à satisfaire. Je ne savais pas toujours éviter le convenu, les lieux communs, les mots trop prévisibles. J’écrivais à l’instinct, et je ne  sais si ce vocable est bien approprié.  Ce qui me guidait, c’était mon intuition, et surtout, mon désir d’être simple. J’avançais à tâtons, pressentant vaguement la forme que devait prendre la phrase qui s’élaborait.

 

De nombreux ingrédients participent à cette alchimie de l’écriture.  Quand j’écris, je me préoccupe désormais

  •  d’être sobre, direct, concis
  • de trouver le mot juste, l’expression juste, la structure de phrase adéquate. De trouver la justesse du ton.  De n’être ni au-dessus, ni au-dessous de ce qui est à exprimer
  • de ne pas résoudre un difficile problème d’écriture par un artifice
  • de ne dire que ce que je veux dire
  • de n’employer qu’après examen des mots qui ont une histoire, un passé
  • d’être attentif aux connotations, à l’implicite, aux vibrations qui se propagent d’une phrase à l’autre
  • de veiller à l’articulation des phrases, à l’écoulement du texte, au rythme. À la temporalité
  •  de choisir de préférence des mots qui se réfèrent au sensible, au concret.  Donc d’éviter autant qu’il se peut ceux qui désignent des réalités abstraites. De refuser certains termes techniques empruntés à différentes disciplines
  • de faire de la musique avec les mots.  Grande attention portée à leur sonorité, à leur poids, à ce qu’ils irradient
  • de m’en tenir à une intensité retenue
  •  de rechercher un langage objectif, tout en veillant à lui donner de la chair, de la couleur, du relief

Écrire, c’est travailler la langue mot à mot, syllabe à syllabe. C’est se soumettre à ce qui advient, en restant assez lucide pour pouvoir structurer la matière inorganisée qui se propose. C’est être sensible à toutes les interconnexions qui se nouent à l’intérieur du texte.

J’ai encore du chemin à parcourir – ce chemin n’a pas de terme – mais il est vrai que j’ai toujours voulu acquérir ce savoir-écrire qui associe spontanéité et réflexion, abandon et rigueur, lyrisme et lucidité, ce savoir-écrire qui permet d’accéder à « l’art sans l’art ».

On comprend pourquoi Hofmannsthal – mais est-ce bien lui ?- a pu dire qu’un écrivain est quelqu’un pour qui écrire est plus difficile que pour toute autre personne.

Extrait d’Apaisement,  Journal VII 1997-2003 de Charles Juliet

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Chaque petit pas compte

L‘une de mes erreurs, je l’admet aujourd’hui, a été de tenter de vivre à distance de moi-même. Cette impression un peu étrange qui peut se résumer par « marcher à côté de ses pompes », c’est ce que j’ai l’impression de vivre depuis des années.

Je m’explique : j’ai basé mon fonctionnement depuis très longtemps (tellement longtemps que je ne me souviens plus depuis quand exactement) sur un jugement intellectuel. Mais le juge en moi a très rapidement pris le pas sur l’autre partie de ma personnalité, celle plus libre qui voulait expérimenter et vivre.   Or le juge a tranché dans le vif, estimant que ces expériences, le plus souvent  néfastes puisqu’elle entraînaient de la souffrance à terme, devaient être abolies. Le juge en moi a flatté mon égo en me disant que j’étais au dessus de ça, en critiquant toute action irréfléchie et en m’enjoignant à la plus grande prudence quant aux conséquences d’actes spontanés.  Par actes spontanés j’entends toutes les manifestations de  joie, d’émotion, de peur, de colère, de faiblesse. Très vite j’ai appris à tout juger et à pré-juger, à évaluer et à ne pas montrer qui je suis, ni ce que je ressent véritablement.  Dans les livres, les films, dans les récits des autres, j’ai trouvé de quoi nourrir mon jugement et à chaque fois, je me félicitais de ne pas tomber dans ce piège de vivre à fleur de peaux, d’exprimer sans réserve mes émotions. Tout en rêvant en secret que de tels moments viennent bouleverser ma vie.

A trop vouloir ressembler aux autres, en jouant au caméléon, j’ai perdu mes couleurs.

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D’abord j’ai appris à juger, puis j’ai appris à écouter.  Ecouter les autres, partager leur point de vue, comprendre leurs émotions, qu’elles soient réelles ou imaginaires.  Apprendre à lire les corps, les visages, les micro expressions, les intonations, pour mieux me perdre en eux, me nourrir en vampire de la vie des autres.  Je me sentais protégée à l’abri du mince écran de fumée, qui faisait croire que j’étais comme eux. Mais ma différence, mon indifférence, m’ont rattrapé.  

De juge des autres il n’y a qu’un pas à se juger soi même.  Je suis devenue exigeante, perfectionniste, avec une volonté d’apprendre sans limite.  J’érigeais ces attitudes en qualités morales, négligeant mon être, méprisant mon corps, ignorant tout ce qui se passait ailleurs que dans le cerveau.  Sous la peau, ça cognait, dans mes entrailles ça grognait et ces expressions grossières de mon corps se sont muées en douleurs chroniques, en peurs paniques. Mais je ne voulais pas entendre mon malaise, et je l’ai trainée de longues années, sans le questionner, juste parce que je voulais à tout prix me croire normale. Et puis tant que ces problèmes étaient vivables, je les évitais soigneusement, peu à peu ils ont rongé ma vitalité, jusqu’à m’enfermer en moi-même.

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 Maintenant que j’ai pris conscience de tout cela, le plus difficile pour moi reste à faire.  Je dois me re-former, m’accepter et m’aimer.  Re-apprendre à vivre, c’est comme apprendre à marcher, il faut y aller pas à pas. Pour l’écriture, c’est pareil, mon grand projet d’écriture de roman ne se fera pas aussi facilement que je l’avais espéré.  Mais pourquoi pas jouer avec des textes courts, proposer à des revues locales une contribution modeste, me familiariser à nouveau avec  mes mots.  J’observe que ça me prend du temps, j’ai longtemps pensé ce petit texte avant de le coucher sur papier.  Maintenant il faut l’envoyer, passer l’épreuve du jugement des autres.  Et tenter d’assourdir dans ma tête, la voix qui toujours me murmure que ce n’est pas assez bien, pas assez original et que je devrai faire mieux. NON je ne dois rien à personne ! Maintenant que je vois mieux les mécanismes à l’oeuvre qui sabotent mon esprit et ma créativité à coup de peurs et de jugements, je peux les regarder en face, les contrer par quelque affirmation positive et percevoir l’irritation que ça provoque chez moi, mais en conscience.  Chaque pas compte, chaque moment de doute est minutieusement observé et puis accepté avant d’être contré en douceur, j’ai appris à mieux me parler, à mieux m’aimer et doucement je m’apprivoise.

Une beauté

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Renoncer à la lutte

Il y a plus d’un mois que je n’ai pas publié et c’est sans aucune culpabilité que je reviens témoigner de ces temps incertains, transitoires, et des avancées en crabe de ma quête personnelle.  Je rappelle que je n’ai rien promis ni à vous ni à moi concernant la fréquence de publication sur ce blog qui se veut avant tout le récit de ma libération.

Ce chemin passe par beaucoup de questionnements et de doutes, par une volonté de compréhension de moi-même qui ne semble jamais assouvie.  J’ai aussi découvert qu’il y avait sous la surface, sous ma peau, dans mon corps de nombreux points de blocage.  Ceux là ne peuvent pas s’émouvoir à la lecture d’un livre, ni même de la compréhension d’un nouveau concept. Me voilà donc partie dans une introspection sensitive à tenter de retrouver ce qui a longtemps été nié.

Retrouver le plaisir simple de se faire porter par l’eau douce et chaude de la mer, le corps ouvert en étoile, les yeux fermés, pendant de longues minutes, parcourir des kilomètres au rythme du roulis des vagues et se retrouver projetée sur le sable chaud. Le corps alourdi soudain par la pesanteur et puis repris par la mer dans un mouvement d’accueil et de rejet sans fin.

Illustrations Pina Baush « café Müller » ainsi que le film « Pina » de Wim Wenders et « rêves dansants » à voir absolument.

cafe-mullerBaudelaire disait qu’il faut « guérir le corps par l’âme et l’âme par le corps », cette dichotomie qui m’a toujours obsédée ne résonne plus pareil à mes oreilles.  L’autre phrase qui m’a accompagnée toutes ces années, c’est la citation de Descartes que se répétait ma prof de philo pendant les longues semaines de coma qu’elle a traversé. Tous les os de son corps avaient été brisés  dans un accident et les médecins refusaient de parier sur sa survie. Elle s’accrochait à cette phrase : « l’âme n’est pas logée dans le corps comme un pilote en son navire ».  J’ai tenté en vain de séparer l’esprit du corps en me méprenant sur le sens de ces phrases. Je voyais deux entités séparées, le corps n’était qu’une machine, certes sophistiquée, mais qu’il fallait contraindre à la puissance de la pensée.  Si j’en suis venue à croire cela, c’est sans doute parce qu’enfant, j’ai tous simplement décidé de délaisser mon corps, de l’affamer, lui intimant l’ordre de se faire tout petit, de prendre le moins de place possible.  J’ai rentré mes épaules vers l’intérieur, courbé la tête, coupé mes cheveux  et vérifié que rien ne dépasse.  Rien de tangible qui pourrait m’apparenter à  ces corps adultes, adipeux et charnus exultants d’humeurs. Je voulais disparaitre, devenir ectoplasme pour n’être plus que des mots.

Le Yoga a été un premier pas vers ma réincorporation. J’aime cette pratique douce de l’attention tournée vers l’intérieur.   Cette manière de bouger, de ressentir les vibrations énergétiques. Au début ce ne sont que des picotements et le bien être ne dure pas.  Mais en regagnant du terrain sur l’ankylosement de mon corps, c’est aussi une nouvelle porte qui s’est ouverte dans mon cerveau. Ce travail ne se fait pas sans résistance et d’ailleurs je trouve curieux de résister autant au changement et à moi même. Cette posture de résistance (en d’autre temps si glorieuse) m’a usée, épuisée et depuis peu j’abandonne la lutte.  Je laisse faire la pesanteur, je me laisse traverser par des émotions longtemps refoulées, j’accepte même ma peur et ma douleur.  Je reviens à ce qui m’est essentiel, mon identité, non pas celle que j’ai construit socialement et dont l’ironie mordante masquait un profond malaise, mais mon identité en tant qu’être.  Je découvre des niveaux de conscience subtils, différents qui me permettent de m’exprimer librement.  Peu à peu je recolle les morceaux entre mon âme et mon corps pour me construire en tant qu’ ÊTRE.

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La fluidité dans l’écriture ne viendra pas d’une contrainte de l’esprit, mais bien d’une disposition du corps à laisser libre cours à la pensée, à ne pas l’entraver de ses douleurs et au contraire à la nourrir de ses émotions et sensations. L’intensité de certains moments que je vis est indescriptible. Comme la première fois que je me suis retrouvée sous une pluie drue avec mes cheveux courts, j’avais 15 ans, l’eau ruisselait sur mon crâne et je n’avais jamais ressenti cela avant (bien protégée par une tignasse longue) j’ai découvert ces petites chatouilles des gouttes d’eaux qui s’écoulent le long de mon occiput. Comme une soupe de nouilles froide qui vous tomberait sur la tête. J’ai ressenti ça un soir, après avoir passé une journée étonnante d’expression et de partage… Une journée où j’avais repoussé mes peurs et connu des sensations nouvelles. Je riais, seule, sous la pluie et me suis alors sentie libre d’exister pour moi, pour ces sensations si précieuses que j’avais recueillies. En libérant mon corps, mon esprit s’aiguise et c’est une foule de souvenirs enfouis, doux amers,  qui me remontent dans la gorge, ils se libèrent dans un sanglot, un frisson où un sourire.

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Retrouver la liberté

Après deux semaines d’écriture sous la contrainte.  Qui ont été productives, mais au prix d’une lutte acharnée contre moi même.  Je n’ai pas réussit à (re) trouver le plaisir d’écrire, la fluidité et la surprise de voir se déployer mon histoire et mes mots, librement.  J’ai réussit à écrire, mais sans que jamais la petite lumière du plaisir et de l’amusement ne s’allume.  J’ai même délaissé toute forme de jeu dans mon écriture, conférant aux mots leur sens premier, sans me permettre de disgressions, d’envolées lyriques, à peine une petite métaphore. Considérant que j’écris sur le thème « comment se rendre libre ? »  je me suis dit qu’il y avait un problème.

Le résultat de ces deux semaines et néanmoins intéressant.  J’ai écrit environ 25 pages, expérimenté avec des techniques alternatives et j’ai lutté de plus en plus jusqu’à me retrouver bloquée à la fin de mon acte 1.   Malgré mes tentatives pour forcer le passage dans l’acte 2 ce dernier me résiste et pour cause, si l’on suit le modèle de Blake Snyder, c’est la phase « Amusement et jeux ».  Or je suis loin de m’amuser et je ne trouve pas le jeu.

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J’ai donc décidé aujourd’hui de prendre un peu de distance, de m’offrir la Liberté retrouvée. Il y a eu des signes, comme cet article d’Anaël et puis les mots de L. (son coaching à distance à base de photos de tarentules) et enfin j’ai retrouvé mon livre de Julia Cameron Libérez votre Créativité.  L’année dernière j’avais commencé à suivre son programme de reconnexion avec mon artiste intérieur et j’avais dévissé à la semaine 2… Cette fois je compte aller un peu plus loin d’autant plus qu’un an après les mots de Julia Cameron résonnent différemment en moi.  Il faut croire que j’ai changé. Beaucoup d’éléments qui me dérangaient dans ce livre, notamment toute la dimension spirituelle sur notre Dieu intérieur, ne me choquent plus.  Je relis les lignes que j’avais soulignées avec la nette impression de mieux les comprendre et même de les avoir expérimentées.

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Je n’abandonne pas mon projet de roman (loin de là).  Mais j’ai maintenant conscience de ce qui me manque pour  l’écrire.  J’ai besoin de faire plus de recherches concrètes sur l’univers et la période, pour nourrir mon écriture. J’ai trop axé mes recherches sur l’aspect personnel et il me manque beaucoup d’éléments de contexte, j’ai d’ailleurs révisé pas mal de mes cours d’histoire.   Et puis j’ai besoin de trouver en moi la liberté dont je veux parler.  C’est aussi bête que ça.  Je pensais qu’écrire ce roman me permettrait de me libérer (artistiquement parlant) en fait c’est l’inverse.  Je ne pourrais l’écrire que quand je me serais libérée de mes croyances négatives, de mes peurs, du poids de ce passé trop présent. Ce processus est une vague, une respiration, et il faut l’accepter tel qu’il est.  Je suis contente d’avoir abandonné la lutte, ça me redonnerait presque l’envie d’écrire.