Aujourd’hui, j’ai encore une fois pu mesurer ma prise de distance avec la réalité. Ma froideur face au drame et presque mon indifférence. J’ai vu ma grand-mère basculer, passer de l’autre côté, quitter son corps le temps d’un malaise qui l’a laissée livide et cadavérique. Je l’ai vue morte et j’ai pensé à moi : elle avait encore tant de choses à me transmettre.
Aujourd’hui, je n’ai pas perdu ma grand-mère, mais ce coup de semonce, m’a fait prendre conscience de l’urgence de la transmission. Traverser ce moment aux côtés de mes cousines, puis ensuite trouver le courage de leur parler de mes propres angoisses qui se retrouvent chez elles, bien entendu. partager peut-être pour la première fois sur le mode de la sincérité, sans essayer de masquer nos peines et nos doutes.Voir chez les autres tous nos travers, les leur reprocher et puis répéter à l’infini des schémas appris malgré nous. Admettre qu’être vivant c’est pouvoir se tromper, souffrir, être faible et que dans toute recherche d’absolu, de perfection, de calme idéal il y a la mort au bout. Le fin du fin du lâcher prise, la dernière convulsion, la fin des douleurs, des doutes et le début du deuil si complexe. La mort c’est comme une addition qui ne tombe jamais juste, il faut sans cette payer la différence d’une vie de plus, d’un être de moins.
Quel sera le prix de mes recherches ?
Les mots laissés par des morts, sont tout ce qu’il reste d’eux aujourd’hui. Des mots, de vieilles photos et des mémoires qui prennent l’eau. J’ai finalement lu les lettres, les rapports et les comptes rendus d’interrogatoires. Dans les lettres, j’ai découvert la noirceur du quotidien, le malheur d’être pauvre et le sort qui s’acharne sans que l’on comprenne bien pourquoi. J’ai lu la résilience, la force de ces anç-êtres, leur désir de s’en sortir et de lutter, mais aussi leurs moments de doute. J’ai écouté leurs mots, senti leur main trembler, vue l’encre pâlir sous les traces de leur larmes sur le papier. J’ai touché du doigt ces papiers à lettres bordés de noir pour la période de deuil et puis celui mauve aux bords légèrement irréguliers. Les papiers à cigarette, transparents imprimés à l’encre vieillie des machines à écrire et les fautes qu’on ne peut pas effacer, les phrases qu’on a pas le temps de relire, jetées à la hâte dans une enveloppe, le timbre léché et hop à la poste.
Ce qu’il reste de nous toujours vivant après notre trépas, ce sont les mots. Les lettres envoyées et écrites à la main, à l’encre violette, sont notre mémoire. J’aime ces vieux papiers jaunis, ouvrir les enveloppes et découvrir un monde inconnu, fantasmé, ces temps qui nous ont précédés. Si par moment j’ai pu ressentir le poids du passé et voir les cicatrices encore douloureuses qu’il a laissé. Je pense suis de plus en plus convaincue qu’il faut écrire cette histoire. Il me reste à trouver ce que je veux en dire, ce qui fait écho en moi.