J‘ai eu beau m’en protéger, toujours suivre les consignes de sécurité, respecter les règles édictées et celles plus tacites, je ressens en moi une douleur sourde, profonde, ancienne. Elle est tapie tout au fond de mon ventre, et parfois elle se réveille, me contractant de l’intérieur. Si j’ai soigneusement évité toute prise de risques et tout danger, c’est pour ne jamais souffrir. Et me voilà parfois pliée en deux, au bord de l’évanouissement appréhendant le prochain spasme dans mes entrailles. Parfois elle remonte le long de ma colonne vertébrale et vient se loger dans ma nuque. Brisant de fait un peu plus les relations entre ma tête et le reste de mon corps. Parfois elle reste dans le plexus solaire et ma respiration oppressée me retourne les côtes vers l’intérieur comme des piques à l’assaut des poumons et du coeur.
Cette souffrance, je me l’inflige en croyant me protéger des dangers du monde extérieur. En évitant de vivre certaines expériences, de me confronter à la réalité et au regards des autres, en fuyant toute situation inconfortable, je retourne contre moi le mal. Aujourd’hui il faut que j’apprenne à lutter, mais c’est contre moi même que je dois me battre. Je suis restée si longtemps paralysée par la peur, avec dans l’idée que « ça va passer ». Et puis ça ne passe pas, voir même ça sent-pire ! J’utilise ce mot valise à dessein, car mon corps a trouvé un moyen subtil, volatil de s’exprimer malgré moi. Je transpire d’un malaise malodorant, en gros je pue l’angoisse. Expressions, sécrétions, exécration de mon corps exhultant et de ses fluides qui par tous les pores envoyent ce message simple : j’ai peur.
La trouille grandit loin de la lumière et des mots, dans les recoins sombres dans l’ombre de l’inconscient. Plus elle est tue et plus elle me tue. Plus je l’évite et plus elle est invalidante, plus elle se reproduit dans des situations de plus en plus gênantes. C’est comme un cri du corps qui refuse de rester muet, emmuré. C’est un mal insidieux qui peu à peu m’a conduit à réduire les situations sociales stressantes, à abandonner la lutte pour privilégier la fuite et le non-dit. Oser en parler ici me paralyse, je m’en veut d’étaler mes vicères sous vos yeux, mais c’est je crois le chemin pour pouvoir ensuite parler d’autre chose. Autant commencer par quelque trivialité.
A relire Sur le même sujet, j’ai été très touchée il y a des années à la lecture du livre de Marie Cardinale « les mots pour le dire ». Enfin quelque chose d’aussi intime et trivial que le sang des règles était au centre d’un roman. C’est sa lutte constante contre son corps et sa découverte du lien entre ses souffrances actuelles et son passé qui m’ont le plus bouleversée.
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