C’est un chêne vert. Un chêne qui met des centaines d’années à pousser pour atteindre cette taille là. Un tronc si large qu’on n’en fait pas le tour deux les bras écartés. Ce chêne est caché dans le jardin secret, d’un bâtiment à l’abandon, une ancienne école ou caserne, un bâtiment austère et inquiétant. En entrant dans le jardin je sens comme une mise en garde : attention aux rencontres dans ce lieu qui abrite le peuple des marginaux, la frange invisible de la société, je m’inquiète un peu. Le chemin est escarpé, les yeux vides du bâtiment m’observent, je suis avec ma chienne et j’ai confiance en elle. Il faut traverser le jardin et s’aventurer un peu plus loin dans ce qui ressemble à une forêt encerclée d’une immense enceinte de pierre. Une forêt protégée par des murs.
Quand je le vois, sa stature m’impressionne. Il est immense, son tronc large et ses branches principales s’ouvent à hauteur de mes yeux. Il pousse dans une pente, droit et fier. Tout près de lui, a été installée une grande pierre ronde comme une meule, la table ronde qui attend ses chevaliers. Il porte son âge sur ses branches, l’écorce et rude au toucher, il a su traverser les âges, les tempêtes, les années, il vit sa vie d’arbre immortel (comme le sont tous les arbres !) Au milieu des branches principales se trouve une grande faille en son centre, comme une immense plaie dont je ne vois pas le fond et qui l’ouvre en deux. Cet arbre séculaire est ouvert, il s’offre à la vue et sa présence me touche. Je décide de m’assoir un instant à ses côtés sur la grande pierre plate.
Le soleil d’hiver vient alors frapper de ses derniers rayons oblique le coeur de l’arbre, l’éclairant d’une lumière dorée, chaude et douce. Je regarde à nouveau cette plaie offerte, son ouverture est pleine de lumière. Au fond quelque chose brille comme de l’or, une part plus claire reflète la lumière et me renvoie à la magie de cet instant. Pendant quelques minutes, le temps d’un coucher de soleil, cet arbre m’a montré son coeur. Il m’a laissé voir la lumière qu’il porte. Il m’a donné confiance dans la notion d’ouverture, il m’a transmis sa force et sa fragilité dans un même moment.
Quelques temps plus tard, je ressens à nouveau que le seul moyen d’ouvrir son coeur, consiste à accepter de montrer sa blessure, la faille qui nous ouvre en deux et autour de laquelle notre personnalité s’est construite. Cette blessure originelle, on fait tout pour éviter de l’approcher, pour ne pas la montrer. J’ai à nouveau ressenti cette ouverture du coeur. J’ai vu la beauté des êtres qui s’offrent ainsi ouverts et vulnérables, j’ai vu la lumière qui émane de leur béance. Dans l’un de ces moments si particulier où il m’a été donné de toucher et ressentir la fragilité et la lumière en même temps, j’ai entendu en moi le nom d’une ville. D’abord je n’y ai pas prêté attention et puis ce nom est revenu sonner à mes oreilles, et je me suis dit que c’était étrange de penser à cette ville-ci précisément à ce moment. C’est une ville qui m’est inconnue et dont personne ne m’a jamais parlé, j’ai donc cherché le lien entre ce nom de ville et l’ouverture du coeur.
Cette ville s’appelle Paray le Monial. En son sein se trouve la chapelle de la visitation dans laquelle Marie-Marguerite Alacoque reçu la vision de Jésus et de son coeur « brûlant d’amour » pour les hommes.
Le coeur sacré, cet espace de lumière accessible en chacun de nous, cet espace d’ouverture à l’autre et à soi qui nécessite de s’ouvrir en deux, de fendre l’armure pour montrer ce qui est le plus fragile et le plus secret en nous. C’est à partir de notre blessure intérieure, de notre faille, que la lumière filtre tout autour de nous. C’est dans la fragilité que se trouve notre plus grande force. Ce que je cache pour me protéger. Ce qui me fait souffrir et me fait honte, ce qui me met à nu, c’est ce qui rayonne le plus fortement et qui permet l’accès au monde spirituel, à l’amour inconditionnel.
J’ai été bouleversée par ma rencontre avec ce vieux chêne et puis interpellée par la référence au coeur de Jésus. L’image d’un Coeur Sacré, blessé, qui serait le point d’entrée vers le monde spirituel, la clé qui ouvre le coeur des autres, me parle et m’émeut profondément. Le dernier livre que j’ai lu et vraiment aimé s’appelait « le coeur cousu« et il comporte aussi une dimension spirituelle forte. Dans ce livre, une femme recoud le coeur et l’âme d’hommes déchirés, en lambeaux et elle même se perd à force de réparer l’égo, l’âme et puis le corps de ceux qu’elle aime.