Le processus d’écriture est complexe et chacun l’apprivoise à sa façon. J’aime être chez moi, travailler dans mon cocon, mais parfois un changement de décor, de rythme, d’environnement est propice au travail et à la réflexion. Quand mon amie S. m’a proposé d’aller m’installer dans sa maison de vacances en Bretagne, je me suis dit que ce serait l’occasion de travailler au calme.
Le départ ne s’est pas fait sans peine, j’ai eu du mal à quitter mon chez moi, mes chats et ma poule… J’avais peur de l’inconnu, peur de m’ennuyer, de me sentir seule, peur de ne pas être assez forte pour assumer mon envie d’écrire et mon besoin de calme.
Quitter mon quotidien, me retrouver face à moi même et surtout face à la mer (en l’occurence l’Océan) m’a semblé pendant un moment une épreuve insurmontable. Mais j’avais tout organisé pour partir sereine et maintenant que j’étais au pied du mur, il fallait que j’assume cette envie d’ailleurs.
Je me suis installée sur la presqu’île de Rhuys pour 10 jours avec la volonté de travailler tous les jours, mais aussi de profiter de la nature, de l’océan, du soleil, bref d’ouvrir une porte sur un nouvel univers. Le cadre était idéal, le calme parfait, j’ai tenu le planning de travail que je m’étais imposée (4 heures d’écriture par jour). Le reste du temps, j’ai fais de longue ballades à pied qui m’ont permis de réfléchir avec mes membres antérieurs et de laisser ma tête ouverte aux vents d’ouest, mes yeux jamais lassés du spectacle changeant offert par la côte du Morbihan.
J’ai écrit, exilée volontaire, j’ai trimé sans difficultés, mais sans parvenir à trouver non plus cette sensation de fluidité, quand le travail nous absorbe tout entier et qu’on en oublie le temps. J’ai lutté contre moi même, contre mon envie de faire autre chose, de m’échapper de cette contrainte si particulière qui consiste à réfléchir au quotidien à ce que l’on veut dire et à comment le dire.
J’ai utilisé les outils développés cette années pour l’atelier d’écriture. J’ai même envisagé d’en créer de nouveaux au fur et à mesure de l’avancée de mon projet de roman, qui seront à leur tour partagés avec d’autres auteurs en devenir.
Se libérer de ses chaînes n’est pas si facile. Se libérer de ses propres pensées limitantes « Je ne suis pas un auteur », « Qui va me lire et me comprendre », « Si je n’étais pas aussi douée que je le souhaite ». Se libérer aussi des attentes des autres, de leur jugement. Se sentir libre et retrouver des mots anciens, des vers oubliés… Ceux de ce sonnet de Pierre Marbeuf.
Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage,
Et la mer est amère, et l’amour est amer,
L’on s’abîme en l’amour aussi bien qu’en la mer,
Car la mer et l’amour ne sont point sans orage.
Celui qui craint les eaux qu’il demeure au rivage,
Celui qui craint les maux qu’on souffre pour aimer,
Qu’il ne se laisse pas à l’amour enflammer,
Et tous deux ils seront sans hasard de naufrage.
La mère de l’amour eut la mer pour berceau,
Le feu sort de l’amour, sa mère sort de l’eau,
Mais l’eau contre ce feu ne peut fournir des armes.
Si l’eau pouvait éteindre un brasier amoureux,
Ton amour qui me brûle est si fort douloureux,
Que j’eusse éteint son feu de la mer de mes larmes.
Se dire que finalement on échoue jamais vraiment, on est parfois simplement en cale sèche, en train d’attendre la Grande Marée à écouter du Miossec pour ne pas oublier que toutes ces larmes versées ne le seront pas en vain.
Le bateau Caroline est un très beau clin d’œil de la vie je trouve…et tellement de circonstance.
Merci pour ce bel article,
C »est à mon tour de ressentir la beauté de ton écriture. Sa sincérité aussi. Et je partage tes doutes sur le processus, presque douloureux parfois, de l’accouchement des mots. Il semble que c’est quand on les appelle qu’ils mettent le plus de temps à venir; certainement qu’ils se cachent, impressionnés par tout ce poids qu’on pose sur leurs épaules… Ils débarquent si fluides et pleins d’entrain quand on ne les attend pas! L’art de les apprivoiser, c’est ce qu’on doit apprendre à développer j’imagine. En même temps qu’on apprivoise nos incertitudes et nos appréhensions.
Une petite citation tirée de « La mal-mesure de l’homme » de Stephen Jay Gould:
« Nous ne traversons ce monde qu’une fois. Peu de tragédies ont plus de conséquences que de ne pas permettre à la vie de s’épanouir, peu d’injustices sont plus profondes que de réduire à néant les occasions de se développer, ou même d’espérer, à cause des limites imposées de l’extérieur mais que l’on pense venir de soi ».
Merci Caroline.