En mille morceaux

Parfois quelque chose se brise en nous. C’est peut-être qu’on fend l’armure, que la mue s’amorce, mais la première impression c’est la douleur.  Et puis cette sensation d’incomplétude, de déséquilibre, de vide.  Il faut se rassembler, compter les pièces restantes pour former un tout à nouveau.  Se retrouver malgré les fissures, les crevasses, les fêlures.

brisée

Mon coeur ressemble à cette assiette retrouvée éclatée au four. Son contenu répandu un peu partout.  J’ai entendu le clac et je n’ai rien pu faire.  Oubliez la superglue car les petits éclats perdus en font à jamais une assiette fêlée, un objet inutile. Un rebut de plus.  Comment ne pas évoquer Charles Baudelaire et sa Cloche Fêlée.

Il est amer et doux, pendant les nuits d’hiver,
D’écouter, près du feu qui palpite et qui fume,
Les souvenirs lointains lentement s’élever
Au bruit des carillons qui chantent dans la brume,

Bienheureuse la cloche au gosier vigoureux
Qui, malgré sa vieillesse, alerte et bien portante,
Jette fidèlement son cri religieux,
Ainsi qu’un vieux soldat qui veille sous la tente !

Moi, mon âme est fêlée, et lorsqu’en ses ennuis
Elle veut de ses chants peupler l’air froid des nuits,
Il arrive souvent que sa voix affaiblie

Semble le râle épais d’un blessé qu’on oublie
Au bord d’un lac de sang, sous un grand tas de morts,
Et qui meurt, sans bouger, dans d’immenses efforts

Si j’ai choisi Baudelaire, j’aurai tout aussi bien pu évoquer James Frey et  A Million Little Pieces.  Une lecture encore en cours (depuis des mois) tant la violence de ce livre m’a bouleversée.  Obligée de le refermer parfois pour reprendre mon souffle, pour m’échapper de l’enfer de la désintox que décrit James Frey.  Je trouve ridicule la polémique sur la vérité (ou non) des faits décrits dans ce livre.  Peu m’importe que James Frey ait réellement vécu ce qu’il décrit, je ne doute pas  à le lire de sa sincérité en tant qu’auteur et de sa roublardise. Mais ne sommes nous pas tous contraints à de tels mensonges ?  On se les raconte d’abord pour nous même et puis on ment aux autres  et puis on les écrit et la force du réçit donne une qualité autre que le réalisme pur.  C’est la puissance d’évocation des mots, des images, des idées qui fait la qualité d’un auteur.  Pas le fait qu’il ait vécu ce qu’il raconte, sinon on reste dans une culture du témoignage, du simple voyeurisme jamais transcendé par l’art.

Je reviendrai sans doute explorer  le sujet du rapport entre vérité et invention dans l’écriture. Car cette question me préoccupe au quotidien et je n’ai pas encore trouvé de réponse à cette épineuse question.  J’ai l’impression que de la matière réelle peut émerger la fiction, mais cette fiction ne peut que trahir la réalité. Reste alors à être sincère avec soi-même dans sa trahison.

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