Un appartement baigné de lumière au cinquième étage d’une des tours modernes qui ont récemment poussé dans le quartier de Belcier. Dès l’entrée, on est happé par les couleurs ; de grandes toiles, des bruns, des rouges, des jaunes et des roses… Les meubles sont simples : un lit à barreaux fait office de banquette et le canapé ancien qui trône au milieu de la pièce est couvert de coussins et de tissus colorés. Une table basse, sculpture en bois d’un buste de femme, recouverte de fils, d’oiseaux miniatures et de feuilles nous intrigue. Maryse Paloma nous reçoit simplement chez elle, avec sa fille Delphine Delas, street artiste. Pendant tout notre entretien, le chat de Delphine, Mononoké, se roule sur les grands carnets à dessin et ronronne doucement.
L’univers de Maryse est féminin et ludique. On y retrouve son personnage fétiche, la Palo Palo, sorte de sorcière aux longs cheveux noirs et à la robe rouge. Ce personnage témoigne de ses origines espagnoles héritées de son père. « J’ai créé la Palo en souvenir de ma grand mère : Beatriz Palomar. » La Palo Palo est une sorcière amusante qui se rit de tout et cherche l’amour. Les livres et l’univers de Paloma peuvent sembler enfantins, mais le sexe et la poésie s’y mêlent, le jeu est partout sur les mots, dans les images. Ce personnage tout en tendresse a marqué l’œuvre de Maryse. La Palo Palo est dessinée simplement avec une robe rouge vif, des chaussures pointues et des longs cheveux noirs et crépus.
La robe rouge de la Palo c’est son drapeau, elle est un peu révolutionnaire .
Depuis toujours Maryse aime le dessin, la couleur et les livres, mais son père typographe n’a pas voulu qu’elle fasse les beaux-arts et elle s’est destinée à un métier de bureau. Maryse aime les paillettes et les boules à neige, elle a toujours fabriqué des petits objets avec ses mains, c’est un truc familial. Vers quarante ans, elle décide de se remettre à peindre pour de bon, depuis elle n’a pas arrêté. « Ca n’a pas été un choix difficile, ça s’est imposé ! »
Aujourd’hui Maryse travaille sur des toiles plus abstraites, des grands formats aux nuances fauves et éthérés. Colorer l’appartement tout blanc, trop neuf, tapisser de toiles et de couleurs les murs nus, Maryse a toujours peint dans le lieu où elle vit. Le corps féminin figuré par la table basse était une installation sur les cinq sens. Au départ ce buste pouvait être touché, senti, vu et il produisait un bruit de battement cardiaque qui a rapidement agacé les autres exposants.
Avec Delphine, Maryse évoque la nécessité d’avoir un atelier. C’est non seulement un lieu pour créer, mais aussi un lieu de représentation qui permet de recevoir et de montrer son travail. L’atelier, c’est un peu ce qui sépare l’artiste professionnel de l’artiste amateur. Faute de lieu dédié, mère et fille créent partout où elles passent. Dans ce quartier en transition qu’est Belcier, Delphine recherche un espace vide qui pourra lui servir d’atelier. En France, l’artiste est encore un saltimbanque à qui on demande souvent « et à part ça tu fais quoi ? » Si la plupart des artistes doivent travailler à côté pour vivre (Delphine prépare son agrégation d’arts plastiques), assumer sa position d’artiste n’est pas évidente dans la société française. De son expérience au Canada, Delphine a rapporté la conviction qu’elle peut s’affirmer en tant qu’artiste. Une femme artiste qui plus est, dans le milieu très masculin du street art. Pour une femme, c’est plus difficile de s’imposer, dans les galeries leur travail doit être plus affirmé.
Les enfants, il faut leur faire confiance, les encourager malgré tout.
La force de Delphine vient de Maryse et de l’éducation très libre qu’elle a donné à ses deux enfants. Maryse a tenu à donner à ses enfants la liberté qui lui a manquée. Son fils est compagnon menuisier, Maryse en profite pour nous glisser quelques conseils sur le rôle de belle mère « le mieux c’est de la boucler ! Ce qui est important c’est d’être présent d’aider ses enfants, mais une fois adulte, il n’y a plus rien à leur dire pour les éduquer, ils font ce qu’ils veulent et c’est tant mieux.»
Après avoir vécu quelques années en Espagne, puis à Montréal, Delphine, plus secrète et moins expansive que sa mère, est de retour à Bordeaux sa ville d’origine. Les deux artistes ne tarissent pas d’éloges l’une sur l’autre. Si pour Paloma le choix de devenir artiste s’est fait tardivement, pour Delphine c’est une évidence depuis toujours. Maryse nous confie qu’elle apprécie vraiment le retour de sa fille Delphine en France car les deux femmes passent leur temps à rire de tout. Maryse a une philosophie de la vie toute tournée vers la joie et le bonheur, l’essentiel c’est de s’amuser en créant. Elle ne veut pas se laisser noyer dans le marasme du quotidien et subir les problèmes des gens de son âge. Il y a beaucoup de gaîté dans la voix chantante de Maryse, elle nous dit avoir gardé son âme d’enfant et s’émerveiller de tout malgré les aléas de la vie.
« Je suis hyper fan de son boulot » dit Maryse de Delphine et réciproquement. C’est la fille qui nous a orienté vers sa mère en disant « c’est une grande artiste ».
Si l’on recherche le point commun entre leurs deux univers, c’est sans doute le bestiaire fantastique et multiple que l’on retrouve chez Maryse dans ses grands formats et dans ses illustrations et chez Delphine dans les murs peints et collages dont elle a inondé Bordeaux ces dernier temps. Tout ce qui est imaginaire et fantastique relie la mère et la fille, l’humour aussi semble être leur point commun.
Alors que Maryse nous tartine du pâté et nous offre des olives et du vin rouge, Julie peaufine les portraits. Celui de Delphine est approuvé par Maryse d’un « tu es plus grosse que moi ! » triomphant. Delphine nous annonce une prochaine expo collective avec Maryse et leur ami Eduardo en Juin 2016 à l’espace St Rémi. Courant 2016, le bar Ô Plafond, dont la vitrine a été peinte par Delphine, accrochera aussi sur ses murs des oeuvres de Maryse. L’occasion de découvrir l’univers de ses deux femmes artistes qui jubilent de leurs jeux et de leur complicité.
Dessins Julie Blaquié / Texte Caroline Cochet / Projet Elles St Jean