Présence

Ce weekend, j’ai participé à un stage de danse organisé par Claude Magne et la Compagnie Robinson sur le thème « présence et mouvement ».  La danse est entrée dans ma vie il y a quelques mois seulement, mais cette pratique me nourrit et ne cesse de questionner mon écriture. Loin de l’exigence de performance et de souplesse du  ballet classique et des pointes qui ont m’ont définitivement brouillée avec la couleur rose et fait croire pendant des années que ce n’est pas pour moi, me revoilà campée sur mes deux pieds, avec mon corps tout raide, toujours un peu trop grand et un peu trop maigre. La danse c’est cette expérience du corps qui se meut, qui s’émeut et loin de l’agitation de la gymnastique, c’est un temps de retour à soi pour se perdre et se retrouver.

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Au cours de ces deux jours, j’ai éprouvé des sensations nouvelles  à commencer par celle de serrer dans mes bras une quinzaine de personnes que je ne connaissais pas. Une expérience inenvisageable sans angoisses il y a quelques mois en arrière. Une manière d’entrer en relation avec les corps des autres à priori.  Les deux axes principaux de recherche étaient « la complétude plutôt que la perfection » et « la présence plutôt que la production ». Nous avons aussi beaucoup travaillé sur la conversation avec l’autre et l’ouverture à l’inattendu. Des termes qui peuvent sembler vagues, génériques, mais qui sont volontairement dénués d’affect pour que chacun puisse s’en emparer et le retranscrire dans sa démarche. Je me suis beaucoup jugée, mais de la part de tous les autres je n’ai ressenti que bienveillance et accueil.  Alors j’ai décidé d’accrocher mon ego au vestiaire et de laisser voir ce qui palpite doucement en moi.  Le samedi soir lors d’une longue impro, je me suis sentie envahie par l’émotion, l’impression de danser en portant sur mes épaules le poids de cette histoire passée, celle d‘Alice.  J’ai revécu sa lutte, sa douleur du moins ce que j’en sais. J’ai dansé pour elle, avec elle, en portant ses maux en étendard de mon malaise.

2ee3aa176d313379d27f993bcf93e53bLe second jour c’est un exercice fascinant d’altérité et de jeu de miroirs qui m’a permis de me confondre et de me voir dans le corps de quelqu’un d’autre.  De cette pratique, Claude a souligné qu’elle était un moyen d’allier technique et lâcher prise, intériorité et extériorité en passant par la médiation de l’autre, par la rencontre.

Ce stage m’a ouvert à moi-même, il m’a redonné l’envie d’improviser au piano et avec les mots.  Il m’a conforté dans l’idée que la technique d’écriture est maintenant suffisamment ancrée en moi pour que je puisse l’oublier un temps.  Elle ne va pas disparaitre, au contraire, c’est dans la pratique et dans un certain relâchement que je vais retrouver cette joie de la maitrise technique.

« Le mouvement n’est pas affaire de spécialiste mais de toute personne qui s’appuie sur sa présence incarnée, sensible, relationnelle, pour dire son « être au monde ». Démarche de découverte et de partage, loin de toute exhibition ou provocation. L’approche doit être douce et respectueuse afin que s’ouvrent les canaux de l’expression. » Claude Magne

Et puis il y a cette présence de l’absence que je commence à accepter, à mieux percevoir et à entendre monter en moi.  La présence de l’absence, c’est un terme employé par Jean-Claude Ameisen dans son émission sur les traces du passé qui m’a tellement parlé que je l’écoute et la réécoute en podcast depuis cet été.  A chaque nouvelle écoute je découvre d’autres informations, une richesse d’évocation qui m’avait échappée les fois précédente tant cette émission foisonne de mots qui me sont destinés.  Et à chaque fois l’émotion me saisit à la fin, les larmes coulent, sans que je comprenne bien pourquoi, la mécanique est claire et pourtant il y a ce surgissement d’un coup qui m’emporte.  Accepter ce qui parle en moi, cet autre qui m’effraye parfois, ce déséquilibre qui me rend difforme et que je cache, mais qui est au fond ma force et mon identité.  Je vais laisser faire le temps, laisser passer les jours, mais je sais que cette pratique m’a marquée dans ma chair, laissé le souvenir le plus profond, celui du corps libéré.

A lire aussi le formidable discours de Patrick Modiano sur son travail de romancier récompensé par le Prix Nobel : « Mais c’est sans doute la vocation du romancier, devant cette grande page blanche de l’oubli, de faire ressurgir quelques mots à moitié effacés, comme ces icebergs perdus qui dérivent à la surface de l’océan. »  Ecoutez ces mots qu’il laisse en suspend dans l’air, et dans lesquels passent la mémoire de tous ceux qu’il a écrit dans ses livres et des autres encore oubliés. Traversez ce discours fleuve, écoutez la voix douce et fragile d’un grand écrivain qui a écrit ce discours comme il écrit ses livres, dans le brouillard d’une route de montagne verglacée.

3 Comments Write a comment

  1. La seule chose que je peux te dire c’est que c’est toujours un plaisir de te lire Caroline !
    Comme j’aimais la danse avant (maintenant je ne peux presque plus danser et ça me manque terriblement si tu savais, j’ai toujours considéré la danse comme une thérapie tellement elle peut être libératrice et il m’est arrivé bien des fois de danser seule chez moi !! J’ai aussi quelques années de danse classique …
    Accrocher son égo au vestiaire, voilà une chose qui n’est pas facile, mais qui permet de libérer tant de choses et d’avancer vraiment.
    Et puis ce voyage au Japon promet d’être un superbe voyage !!!
    Je te souhaite de très bonnes fêtes de fin d’année !
    Ps : On a pensé à toi hier soir car Sandro vient de me tricoter un bonnet que je trouve vraiment beau et qu’on essaiera de te montrer.
    Bises et j’espère à bientôt.

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