Samedi dernier je me suis rendue dans une grande zone industrielle comme il en existe en périphérie de toutes les villes et j’ai passé les portes d’un de ces supermarchés de la culture, du loisir créatif et de l’art récréatif. Là en plein milieu il y avait deux petites tables à quelques mètres de distance l’une de l’autre et échoués chacun sur leur ilot sous des grandes bannières au nom de l’enseigne culturelle, il y avait deux écrivains, une femme et un homme. Tous deux avec une pile de leurs livres respectifs à côté d’eux et personne ne s’arrêtait pour leur parler. C’était des écrivains au travail, dans ce moment qui suit la création d’une oeuvre où l’on croit que le plus dur est passé et pourtant… Il reste la promo !
La promo d’un livre peut prendre plusieurs formes. Si l’auteur est très connu ou alors dans l’air du temps, il passera au Grand journal, à la Grande Libraire ou sur un plateau d’émission de divertissement ou au 13 h de France 2. Peut-être qu’on en parlera sur France Culture ou sur France Inter, peut-être même aura-t-il la chance de se faire critiquer par le Masque et la Plume et puis il y a les journaux, les articles, des citations, les bonne feuilles, les extraits, les blogs. Mais la rencontre d’un auteur avec son public, entendre directement les mots de ces derniers, voir leurs yeux briller à l’évocation de tel livre, de tel passage. Signer avec son plus beau stylo, écrire quelques mots, sur la page blanche au début de son propre livre édité, enfin. Ca doit être et de loin le plus grand bonheur d’un écrivain qui a travaillé dans l’ombre et dans la solitude des années durant. Or ce summum de la vie d’écrivain, m’est apparu dans toute son angoissante vacuité.
Les auteurs attendaient, chacun à sa petite table que les clients pressés de consommer de la culture daignent s’intéresser à eux. Où mieux qu’une personne entre et vienne directement à leur petite table les tirer de leur solitaire traversée du samedi après-midi de dédicace. Or l’attente peut-être longue et il faut bien s’occuper. La femme d’une cinquantaine d’années, l’air d’une prof d’anglais un peu hirsute semblait absordée dans la lecture d’un livre à la couverture sombre, un polar, peut-être même le sien ? L’homme d’un certain âge également vérifiait avec attention l’alignement des piles de livres en attente d’être dédicacés. J’imagine qu’une fois le fonctionnement du stylo vérifié, la fermeture de sa braguette, les liens de ses souliers, le col de sa chemise, ses boutons de manchette et la mèche bien plaquée, il ne lui restait plus grand chose à faire. Quand je suis repassée il semblait somnoler ou bien contemplait il le plafond ? Basculé en arrière sur sa chaise.
J’avoue n’avoir pas trouvé le courage d’aller leur parler, de les tirer de leur ennuyeuse torpeur. Je l’avoue, j’avais peur. Peur qu’ils me vendent leur livre que je me sente obligée de repartir avec ce pavés d’au moins 600 pages, fruit de leur dur labeur d’auteur. Et qu’avais-je moi à leur dire ? « Bonjour je ne vous connais pas, mais vous semblez être un auteur en vrai et en perdition. Je peux vous aider, m’intéresser ? » Non j’ai fais comme les autres clients, traversé le magasin, j’ai fais mes menus achats et sur le chemin de retour, j’ai remarqué une autre table un peu plus excentrée, moins visible depuis l’entrée, une table avec un autre auteur présent pour dédicacer son oeuvre. Et là surprise il y avait devant lui une petite file de personnes qui se formait. Des lecteurs avides, trépignants, serrant leur exemplaire fébrilement avant de pouvoir le rencontrer et lui glisser quelques mots. Auteur populaire, mais néanmoins décalé, j’étais au rayon BD !
Angoisse ! Tu touches là le paradoxe qui m’anime. Heureuse d’écrire, désireuse d’être lue et terrorisée qu’on me parle de mes écrits…
Oui être auteur n’est pas si simple, mais être lu et toucher les autres reste quand même un but je pense. Même si la peur d’être jugée l’emporte parfois sur l’envie de partager ses textes.