Insubmersible

En commençant un travail introspectif il y a quelques mois avec une psychologue, j’ai pris conscience de ce désir d’écrire qui m’avait nourrie durant toute mon enfance et mon adolescence. Puis je l’ai muselé, dompté, j’ai presque réussit à  le nier ces dernières années. Pourtant il est encore là, intact.

Quelle joie d’entendre enfin quelqu’un me dire si l’écriture est si importante pour vous, il faut le faire.  Au lieu des mises en garde que j’avais entendues toute mon enfance durant écrire n’est pas un métier. J’avais enfin trouvé une oreille bienveillante, qui semblait trouver normal que je veuille écrire et qui m’encourageait à poursuivre ce but, au lieu de tenter de m’en détourner.

Mais ces séances de psy ont aussi mis au jour un problème qui  me semblait être un frein à mon désir d’écriture : l’incapacité à formuler mes émotions, la difficulté extrême de ressentir des émotions.  C’est comme si je m’était amputée (volontairement ?) de ma vie émotionnelle.  J’arrivais très bien à analyser, à conceptualiser, à décrire des mécanismes de pensée.  Mais dès que nous arrivions dans la zone émotionnelle, tout était flou, je n’avais plus de mots, rien que des larmes en torrents, des sanglots sans fin intercalés de hoquets et de reniflements.   Dans le déroulé de nos séances, ma spy insistait souvent sur le caractère positif de cette libération de mes émotions par les pleurs.  Mais moi j’étais toujours perdue au moment de devoir mettre des mots sur ce qui me submergeais et me submerge encore régulièrement.

Plus jeune, j’ai souvent fait des crises de larmes au moment où je devrais défendre quelque point de vue qui me tenait à coeur, le plus souvent en parlant avec mes parents ou mes proches.  Aujourd’hui encore l’évocation de certains sujets sensibles, s’accompagne le plus souvent de pleurs incontrôlables.   Je sais que cela parasite mon message. Mes interlocuteurs prennent pour de la tristesse ces libations et ils sont alors déstabilisés, n’écoutant plus ce que j’ai à dire, ils cherchent à me consoler maladroitement et à mauvais escient.

NoteJe dis ma psy par affection pour elle, même si je ne la vois plus depuis quelque temps et que ce « ma » n’a rien à voir avec l’appartenance, mais à tout à voir avec qualité de connexion et le caractère unique de notre relation.

Ma psy est la première personne depuis longtemps à m’avoir écoutée entre les larmes, sans ce laisser démonter par ces grandes eaux. Une écoute qui loin d’être distante ou médicale, était pleine d’empathie. Je voyais parfois dans ses yeux rougir l’écho de mes propos.  Je la savais touchée, mais son attitude n’a jamais été de me réconforter, en ces moments là, l’écoute sincère des mots au delà de l’écran des pleurs m’a été très bénéfique.

Une fois que mon incapacité à exprimer des émotions à été mise au jour, je n’ai eu de cesse de la voir se répercuter, un peu partout. Dans mon attitude de défense/ attaque ironique envers les autres, dans mes difficultés à jouer du piano (instrument qui a un temps été mon mode d’expression privilégié pour les émotions).   Je voyais mal comment j’allais pouvoir écrire quoi que ce soit, sans recours au champ des l’émotions, sans pouvoir les nommer, les identifier, les ressentir.  Comme souvent j’avais peur que l’acte de m’ouvrir à mes émotions, ne mène à une submersion incontrôlable, un naufrage intérieur, un tsunami de mots chariant des maux.  J’étais à moi toute seule l’orchestre du Titanic qui continue de jouer sur le pont, pendant que le bateau coule et refuse de céder à la panique. Depuis des années je me suis amputée de l’émotion et j’ai masqué la cicatrice derrière une posture d’analyste, dogmatique. Analyser les autres et les critiquer, quel meilleur moyen pour s’oublier et pour ne pas entendre sa propre souffrance et ses désirs singuliers.

Récemment au cours d’une groupe de parole « cercle de rêves » auquel je participe, j’ai découvert que mes émotions étaient en train de revenir.  Peu à peu je m’autorise à ressentir des émotions et je peux même en parler.  Le dernier rêve que j’ai raconté était une expérience cathartique, forte, intense, en lien avec ma famille et mes blocages d’écriture et j’ai ressenti au réveil que cette expérience avait bougé les lignes, qu’elle m’avait permis d’exprimer des choses longtemps tues.  Ce moment, vécu en rêve n’en était pas moins fort émotionnellement. J’étais en larmes dans mon rêve, je me suis réveillée les yeux gonflés et rougis, épuisée et apaisée.  Quand j’ai raconté ce rêve au groupe, j’ai senti qu’il touchait les participants par sa puissance. Puis on m’a dit : c’est la première fois que tu évoques des émotions, tous tes autres rêves jusqu’alors en étaient dépourvus ».  Cette remarque m’a touchée, c’était juste et j’avais enfin réussi déverrouiller  l’émotionnel en moi.

Cet exemple est pour moi très parlant.  Il montre d’abord que le rêve n’a pas une valeur moindre que la réalité, et qu’une situation vécue en rêve peut se révéler aussi forte et intense émotionnellement et physiquement que celles vécues en état de veille. Tous ceux qui ont déjà vécu la mort d’un proche en rêve savent qu’au réveil, la douleur et l’angoisse sont réelles.  Puis on découvre avec joie que ce n’était qu’un rêve.  Mais dans l’autre sens, la séparation imposée par la mort, peut-être contournée dans le rêve qui nous permet de revoir les défunts, de leur parler et même d’évoquer parfois avec eux leur mort. Le rêve est très puissant et son pouvoir créateur ne devrait pas être négligé ou dénigré.

 Depuis ce rêve, j’ai la conviction que je peux me faire entendre, à travers mes pleurs.  Je sais que mes émotions ne viennent pas me déstabiliser ou me noyer, mais qu’elles sont au contraire une force, une conviction et un moyen de révéler ce qui est vraiment important pour moi. Je sais aussi que  ce ne sont que les premiers signes d’un retour à la conscience de ma vie émotionnelle, et que si je l’écoute au lieu de la rejeter, je vais pouvoir m’en servir à la fois pour vivre et pour écrire. Depuis que j’ai fais ce rêve je me sens insubmersible. Le Titanic peu continuer à sombrer avec son orchestre qui joue.  Moi c’est une autre musique que je privilégie, celle qui joue de son émotion plutôt que d’afficher sa virtuosité.


Youn Sun Nah – Hurt (Nine Inch Nails) par Daniel_Desrumaux

    Ce petit exemple quand une chanteuse Coréenne reprend avec un guitariste de Jazz une chanson de Nine Inch Nails qu’avait également reprise Johnny Cash (version à écouter également). Hurt se termine dans un souffle.

2 Comments Write a comment

  1. Bonsoir Caroline,
    Assez sombre tes articles… écris moi quelque chose de gai, ton dernier week-end sur la presqu’île de Rhuys ? Tous mes encouragements pour tes projets d’écriture.

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